L'épidémie de coronavirus tue impitoyablement. Ancien vaticaniste du quotidien le Monde, le journaliste Henri Tincq, âgé de 74 ans, figure de l'information religieuse depuis les années 80, s'est éteint dimanche, victime du Covid-19. Après avoir été journaliste politique au quotidien catholique la Croix, il avait intégré la rédaction du Monde en 1985 pour y suivre les questions des religions. «Henri a été, en France, le pape de l'information religieuse pendant presque un quart de siècle», souligne son ancien confrère Patrick Perotto, ex-chroniqueur sur ces questions au quotidien l'Est Républicain. Pendant les deux décennies où il écrit dans le Monde, Henri Tincq, spécialiste reconnu du catholicisme, a vu l'émergence d'une société française de plus en plus sécularisée et marquée par le pluralisme religieux.
Fils de mineur, né le 2 novembre 1945 à Fourquières-lez-Lens (Pas-de-Calais) Henri Tincq, diplômé de Sciences-Po et de l'Ecole supérieure de journalisme de Lille, avait été marqué dès son enfance par le catholicisme social. Par la suite, il avait milité à la JEC (Jeunesse étudiante chrétienne). Catholique pratiquant, Henri Tincq était investi dans sa paroisse du Val-de-Marne. A l'aumônerie du lycée fréquenté par ses enfants, il avait fait la connaissance du futur archevêque de Lyon, le cardinal Philippe Barbarin. Mais ce n'est pas à ce prélat qu'allait son admiration. Le chroniqueur religieux s'était passionnément intéressé à Jean-Marie Lustiger, l'ancien archevêque de Paris d'origine juive dont il a écrit une biographie, Jean-Marie Lustiger, le cardinal prophète (1). Comme journaliste, Henri Tincq a aussi beaucoup creusé la question des relations entre l'Eglise catholique et le judaïsme, publiant plusieurs ouvrages sur la question.
Sa carrière de journaliste a été très marquée par le suivi du pontificat de Jean Paul II. Henri Tincq était un vaticaniste d'envergure internationale. «C'était un admirateur du pape polonais», explique Patrick Perotto. En 2005 à la mort de Jean Paul II, il fut l'un des premiers à prédire la future élection de Joseph Ratzinger, devenu Benoît XVI. Cet après-midi du 19 avril 2005, à Rome, une poignée de journalistes français, présents à la salle de presse du Vatican, accueillirent, à son arrivée, Henri Tincq par des applaudissements. «Il en avait été très fier», se souvient Patrick Perotto.
Inquiet de la dérive droitière du catholicisme
Depuis son départ en retraite du Monde en 2008, Henri Tincq, une forte personnalité, faisant preuve d'un individualisme marqué, continuait à collaborer au site d'informations en ligne Slate.fr tout en étant l'auteur de plusieurs ouvrages. Ces dernières années, les scandales qui secouaient l'Eglise catholique l'avaient plongé dans un profond désarroi. «C'était une grande souffrance pour lui», raconte l'éditeur Marc Leboucher, proche de son entourage. Il s'était d'abord inquiété de la dérive droitière du catholicisme et la redoutait. Il en avait fait, en 2018, un livre, La grande peur des catholiques de France (Grasset). «Je ne reconnais plus mon Eglise», tels étaient les premiers mots de cet ouvrage, défense et illustration d'un catholicisme d'ouverture et engagé.
A cette époque, il est aussi l'un des premiers lecteurs attentifs et encore une fois bouleversé du livre de Frédéric Martel, Sodoma (2) qui a révélé l'ampleur de l'homosexualité au sein de la hiérarchie catholique. A ceux qui l'interrogeaient, Henri Tincq confiait combien cela remettait en cause sa vision de l'Eglise, du pontificat de Jean Paul II qu'il avait ardemment admiré.
Proche du fondateur de l’Arche
Quelques semaines à peine avant sa disparition, l'ex-chroniqueur religieux du Monde encaissait encore une très sale nouvelle : les révélations des abus sexuels commis par Jean Vanier, le fondateur de l'Arche dont il était proche. «Comme si le ciel me tombait sur la tête, j'apprenais samedi que ce saint que je vénérais depuis longtemps était en fait un pervers. […] Comment croire qu'une personnalité que l'on a admirée, adulée, aimée puisse faire l'objet de révélations étrangères à ses engagements, à ses enseignements, à sa vie?» s'interrogeait-il dans son dernier article, publié le 25 février, sur le site de Slate.fr.
De santé fragile, souffrant de graves problèmes rénaux, Henri Tincq, père de trois enfants, était en attente d’une seconde greffe. A la mi-mars, atteint par le Covid-19, il avait été hospitalisé, à l’hôpital de Villeneuve-Saint-Georges (Val-de-Marne) et placé en réanimation.
(1) Ed. Grasset, 2012, 362 pp, 20,99 euros.
(2) Ed. Robert Laffont, 2019, 638 pp, 23 euros.