«Demain, la droite» : la formule appelle ces temps-ci un grand point d’interrogation. A une famille en souffrance depuis 2017, l’après-coronavirus promet de passionnants et inconfortables débats. Rôle de l’Etat et de la dépense publique, remise en cause du libre-échange… Trois ans après avoir soutenu François Fillon, la droite est-elle la mieux armée pour penser ces aspects de la réponse au virus ?
Aggiornamento
Il est vrai que, chez Les Républicains (LR), certains s'estiment en partie confortés par la crise. «Oui à l'Etat, mais décentralisé : on voit avec cette affaire de masques que fleurissent sur le terrain des initiatives qu'il ne faut pas entraver», juge le député de l'Oise Eric Woerth, alors que LR se pose ces dernières années comme le «parti des territoires». «Il y a aussi, poursuit l'élu, l'idée que les frontières ont du sens si elles sont utilisées de manière judicieuse, de même que le concept d'indépendance nationale.» Certes, les plus observants libéraux se sont ralliés au coûteux plan d'urgence de l'exécutif. Mais en insistant sur son caractère provisoire et en estimant que plus d'économies, par le passé, auraient accru les marges de manœuvre de l'Etat.
D'autres, au contraire, voient dans la crise l'occasion d'un grand aggiornamento de la droite, sur des bases «sociales». C'est de longue date la ligne du président (ex-LR) des Hauts-de-France Xavier Bertrand. Mais en interne aussi, certains plaident pour un virage censé réconcilier LR avec les classes moyennes et populaires. Il faut «abandonner la pensée bruxello-budgétaro-néolibérale, a écrit sur Twitter le député Julien Aubert, de la tendance souverainiste de LR. Besoin d'Etat-stratège, de penser la santé autrement que comme un coût».
«Charlatans»
Mêmes accents chez le secrétaire général de LR, Aurélien Pradié. «On n'évitera pas d'interroger le libéralisme», estimait lundi, auprès de Libération, le numéro trois du parti (lire son interview) . Proposant notamment d'exonérer de toute contrainte budgétaire certains domaines de l'action publique, de cultiver sur les salaires une «pensée radicalement révolutionnaire». Un tournant orné, par le député du Lot, des couleurs rassurantes du «gaullisme, qui avait théorisé l'Etat protecteur et stratège». Cette ligne était déjà celle du vice-président de LR Guillaume Peltier, grand avocat d'une «droite sociale» qu'il appelait à agir audacieusement sur les salaires.
Ce dernier s'était toutefois heurté au scepticisme, voire aux remontrances de plusieurs de ses camarades, qui jugeaient ses propositions «démagogiques» : «Ne soyons pas la droite des charlatans», exhortait en début d'année le président des sénateurs LR, Bruno Retailleau. Ce proche de François Fillon en est convaincu : le programme de 2017 était à peu de chose près le bon. Lui et d'autres ne se laisseront pas facilement convaincre d'«interroger le libéralisme»…
Ces questionnements interviennent alors que battait son plein, avant l'épidémie, le chantier programmatique de LR. L'actualité promet d'en modifier le cours. «La droite n'est pas unanime sur ces sujets», constate Eric Woerth, pour qui «en fin de compte il y aura toujours une vision laxiste et une vision non-laxiste. On peut renforcer certains services publics, mais à condition de savoir renoncer ailleurs, ou de s'appuyer sur le marché». L'ex-ministre du Budget, en poste durant la crise de 2008, relativise en outre les grands élans du moment : «En politique, on est forts pour se faire plaisir. On entend de grands diagnostics pendant les crises. Mais ce qui n'est pas cranté tout de suite a tendance à s'évaporer.»