Ce n'est pas le genre d'endroit où l'on mégote sur l'addition et l'épaisseur du steak. Mais Hugo Desnoyer, boucher star installé dans le XVIe, n'en revient toujours pas : «En ce moment, les gens passent des commandes hallucinantes.» Ça mitonne grave dans les beaux quartiers : «Des rôtis de bœuf, de veau, des sautés, de la blanquette, c'est démesuré par rapport à une semaine moyenne», explique le boucher, qui enregistre un chiffre d'affaires quotidien supérieur de 30 % à 40 % à l'ordinaire.
A lire aussiAlimentation : changement de régime
Il faut mieux avoir le portefeuille bien garni pour faire ses courses chez Desnoyer, qui a fondé sa réputation sur la qualité de ses viandes et une démarche qui n'était pas si courante quand il a ouvert sa première boucherie à Paris, en 1998 : aller au cul des vaches pour sélectionner l'entrecôte qu'il allait débiter sur son billot. Il travaille en direct avec 24 éleveurs, surtout de la race limousine. «Ils m'appellent quand une bête est prête. Elle est abattue à Limoges ou à Confolens, en Charente, où j'ai mes propres chambres froides dans les abattoirs et j'y laisse la viande maturer avant de l'acheminer à Paris. J'ai en permanence 25 carcasses en affinage.»
Hugo Desnoyer n'a pas attendu le confinement pour remplir ses frigos. «J'ai senti le vent tourner bien avant. J'ai rappelé un éleveur il y a trois semaines et j'ai blindé mes chambres froides, même si à ce moment-là, je ne savais pas ce qui allait se passer.» De 9 heures à 18 heures, sa boutique ne désemplit pas. «Mais jamais plus de deux, trois personnes dans le magasin.» Du coup, il a organisé la queue à l'extérieur - «jusqu'à 60 mètres» - avec les tabourets de sa table d'hôtes comme jalons de sécurité. «On sert les clients avec des gants et des masques que j'avais récupérés il y a quelque temps dans les abattoirs. Pour les livraisons à domicile, il n'y a pas de contact. On dépose le colis sur le pas de la porte fermée où le client laisse son chèque.»
Hugo Desnoyer a toujours été réputé pour payer au-dessus de la moyenne ses bouchers, «un métier qu'il faut quinze ans pour maîtriser», ce qui ne lui a pas fait que des amis dans la profession. Il loue le boulot énorme abattu par son équipe. «Mes gars se sentent concernés par la nécessité de nourrir les gens en ce moment.» Il n'hésite pas non plus à «pousser à la vente» les volailles des producteurs pris à la gorge par les conséquences économiques de la pandémie. Certes, ses affaires florissantes en plein confinement sont liées à sa clientèle à fort pouvoir d'achat, mais sa démarche historique en circuits courts avec les éleveurs rassure le consommateur en pleine crise sanitaire. Mais ce fort en gueule la joue plutôt modeste : il faut lui tirer les vers du nez pour apprendre qu'il offre des plats cuisinés à la Croix-Rouge pour nourrir les plus démunis.