C’est le plus important chantier d’Europe et, comme tous les autres, il est à l’arrêt. Comment la décision de stopper les 150 sites de travaux des 205 kilomètres du futur métro Grand Paris Express (GPE) a-t-elle été prise ? Quelles seront les conséquences de cette pause forcée sur le calendrier, l’économie, l’emploi ? Et comment repartir ? Alors que la semaine passée a été marquée par des échanges aigres entre les fédérations de constructeurs, qui avaient rangé les pelleteuses, et la ministre du Travail qui voulaient qu’elles les remettent en action au nom de l’activité économique, quid des installations du futur métro ? Président du directoire de la Société du Grand Paris, maître d’ouvrage du GPE et client des entreprises de génie civil qui creusent (1), Thierry Dallard revient sur le déroulé des événements.
Aujourd’hui, l’ensemble des travaux de génie civil du Grand Paris Express sont à l’arrêt. C’était d’emblée une évidence ?
Pas au début. Le week-end qui a suivi les annonces de fermeture des restaurants, des cafés et des établissements scolaires, avant que le confinement ne soit effectif, les entreprises étaient encore dans une logique de poursuite de l’activité. Les équipements de sécurité des compagnons, leurs tenues, sont déjà des formes de barrière. Des systèmes de quart sur les bases-vie étaient envisagés afin de mieux répartir dans le temps les présences dans les bâtiments du chantier. Mais le week-end a été très anxiogène et le lundi, beaucoup de personnels ne sont pas revenus prendre leur poste. Tous les tunneliers que les entreprises utilisent actuellement sur les chantiers sont fabriqués par les Allemands de Herrenknecht, à Schwanau, près de la frontière française ; or très vite, leurs salariés qui assurent la maintenance n’ont plus eu la capacité de revenir sur les chantiers.
D’une certaine manière, les entreprises de génie civil ont été prises dans un mouvement d’arrêt qu’elles ne contrôlaient pas ?
Absolument. Dès le mardi matin, l’une d’elles a reçu un message des autorités sanitaires lui signalant que les secours en milieu hyperbare ne pourraient plus être assurés, si de telles interventions devaient avoir lieu. Or la maintenance des tunneliers implique des interventions en milieux hyperbares, par exemple pour changer les outils de coupe lorsque ces derniers sont usés. Pas de secours possible, pas d’activité. De nombreux sous-traitants ne se sont plus présentés sur les chantiers, des éléments de sécurité étaient manquants, la production de béton en diminution… Quand une multitude d’absences en cascade se produit, ça allume un voyant rouge. Tous les groupements de travaux publics du GPE ont été confrontés à au moins une difficulté entre le lundi et le mardi. La sécurité est notre priorité, donc le mardi, nous avons pris la décision de tout suspendre, tant qu’il était possible de disposer des ressources pour organiser cette suspension.
Arrêter d’un coup les chantiers du Grand Paris Express, on peut supposer que cela n’était pas prévu dans les procédures…
Notre souci était que la suspension se fasse en bon ordre. Il fallait sécuriser. Un tunnelier doit garder la pression sur les terres qui sont devant lui. Il faut surveiller les pompes qui permettent d’abaisser le niveau des nappes phréatiques, garder les vérins en compression et faire tourner la roue de temps en temps. Dans les chantiers de gare qui sont souvent d’immenses trous, il faut que les pompes continuent à fonctionner pour éviter une inondation complète du chantier. Il y a des questions de gardiennage classique mais aussi de surveillance technique des équipements. Les entreprises sont responsables de leurs chantiers et des effets qu’ils peuvent engendrer sur leur voisinage. Une telle mise en sécurité s’organise, et c’est ce qui a été décidé le 17 mars. Cette phase de sécurisation est achevée.
Etes-vous déjà dans l’examen des conditions de la reprise des travaux ?
Les chantiers du Grand Paris Express n’ont pas le même aspect vital que la maintenance dans le nucléaire, dans l’agroalimentaire, ou dans le secteur de la santé, activités vitales. Nous nous inscrivons dans le temps long. En revanche, le Grand Paris Express est un enjeu économique considérable pour la France puisqu’il génère 4 à 5 milliards d’euros de commande chaque année. Nous sommes très attentifs à ce que les conditions soient réunies pour pouvoir repartir au mieux dès que possible. Il faut que la sécurité sanitaire soit effective mais aussi que la chaîne d’approvisionnement soit rétablie. La Société du Grand Paris a plus de mille fournisseurs qu’elle paye en direct. Cela comprend les entreprises titulaires des marchés et une partie importante des sous-traitants, quel que soit leur rang. Il faut accélérer les paiements en instance pour réinjecter un maximum de cash dans les entreprises avec des avances éventuellement.
Il y a un peu plus de 150 chantiers sur le GPE. Techniquement, lesquels faudra-t-il redémarrer en premier ?
C’est ce que nous regardons. Le redémarrage s’étudie au cas par cas. Nous devons examiner comment la chaîne peut se reconstituer, en amont avec les fournisseurs et en aval avec le traitement des terres excavées, par exemple dans le cas des tunneliers. La particularité des travaux publics, c’est que beaucoup de compagnons sont en déplacement longue distance, ils travaillent à l’international, on les retrouve sur tous les grands chantiers. C’est une profession où il y a une part importante de grands déplacements. Il faut donc aussi s’assurer que l’intendance suit (où et comment les loger, et garantir la restauration).
Etes-vous inquiet des effets de cette suspension sur vos calendriers de livraison qui s’étalent de 2023 à 2030 ?
Il est beaucoup trop tôt pour dire quelles seront les conséquences en termes de calendrier sur toutes les lignes. Une partie du travail est administrative, et elle continue : les entreprises ont basculé assez rapidement en télétravail pour tout ce qui était possible et ça marche. Même les serveurs encaissent le choc. Cela fonctionne avec un taux d’efficacité moindre mais la machine ne s’est pas arrêtée et tous les collaborateurs de la SGP sont au travail. L’impact sur les dossiers d’appel d’offres par exemple, a été limité. Les priorités d’aujourd’hui ne sont pas sur l’estimation des conséquences sur les délais mais d’abord sur la sécurité, puis sur la préparation du redémarrage de la machine économique, et des conditions à réunir, permettant au plus grand nombre de chantiers de continuer.
(1) Les travaux sont conduits par Eiffage Génie Civil, Bouygues Travaux Publics, Vinci Construction, Vinci Construction Grands Projet, Demathieu Bard Construction, Salini Impreglio, Spie Batignolles Génie Civil pour un montant de marchés attribués de 6,8 milliards d'euros à ce jour.