Cette crise du coronavirus aura même dégommé le bac. Jamais dans l'histoire, en cent deux ans d'existence, les épreuves du baccalauréat n'ont été annulées. Ni par temps de guerre ni même lors des épisodes de Mai 68 pourtant mouvementés. Cette année-là, les écrits avaient été remplacés par des oraux, certes, mais cela restait un examen terminal. L'édition 2020 sera historique : les candidats obtiendront (ou pas) leur bac sans passer d'épreuve du tout… Seuls les notes du contrôle continu et l'examen des appréciations des profs seront pris en compte. «C'est la solution la plus simple, la plus sûre et la plus juste […] retenue par l'immense majorité des pays du monde», a déclaré vendredi le ministre de l'Education nationale. Face caméra, Jean-Michel Blanquer ne semblait pas dépité - «Cela va permettre de travailler jusqu'au 4 juillet [si les conditions sanitaires le permettent, ndlr], et donc de rattraper les semaines perdues en ce moment», s'est-il réjoui. Peut-être aussi, surtout, parce que ce «bac option coronavirus» est une transition servie sur un plateau pour sa réforme, en vigueur dès l'année prochaine, qui introduit une dose de contrôle continu.
Comment les élèves de terminale vont-ils être évalués ?
Deux possibilités. Si la situation sanitaire ne permet pas la reprise des cours d'ici la fin du mois de juin, seules les notes du premier et du deuxième trimestre de terminale seront retenues pour attribuer le bac. Si les cours reprennent bel et bien au troisième trimestre, les évaluations organisées durant cette période seront aussi intégrées «avec bienveillance». Blanquer a insisté sur le fait que «les notes obtenues en période de confinement ne doivent pas compter dans la note de contrôle continu parce que tous les élèves ne sont pas à la même enseigne».
Le recours au contrôle continu pose tout de même question, notamment en filière professionnelle, où le manque d'heures de pratique est difficilement remplaçable. Les notes de contrôle continu seront examinées par un jury d'examen début juillet, qui attribuera d'éventuelles mentions. Il épluchera les livrets scolaires et pourra «valoriser un engagement, les progrès de l'élève». Son rôle est aussi de «garantir l'équité entre les candidats et de procéder à l'harmonisation pour tenir compte des différences de notation entre établissements».
Y aura-t-il des sessions de rattrapage ?
Oui. Les oraux de rattrapage, prévus entre le 8 et le 10 juillet, sont maintenus dans leur forme habituelle pour ceux qui auront des notes entre 8 et 9,9. Pour ceux ayant moins de 8 (et donc recalés), une disposition particulière est prévue : ils pourront se présenter à la session de septembre, habituellement prévue pour les élèves ayant été empêchés de passer les épreuves, pour cause de maladie par exemple. A condition toutefois d’avoir fait preuve d’assiduité et de motivation, a précisé le ministre. Conviés aussi à la session de septembre : les candidats libres qui suivent les cours par correspondance, les élèves des établissements hors contrat (notamment les boîtes à bac) et ceux absents d’une partie de l’année scolaire pour cause de maladie.
Qu’en est-il du bac de français, des «E3C», du brevet et du BTS ?
L'écrit du bac de français est annulé. A la place, les élèves se verront attribuer la moyenne obtenue en classe durant l'année. En revanche, l'épreuve orale, elle, devrait être maintenue dans des conditions à peu près normales, «sauf si les conditions sanitaires ne le permettaient pas», a pris soin de préciser le ministre, habitué ces derniers temps à pas mal de volte-face. Le nombre de textes que les élèves doivent préparer sera un peu réduit : quinze pour les premières en voie générale, douze pour les voies technologiques. Quant aux «E3C», ces fameuses épreuves de contrôle continu très décriées ces derniers mois, la session de mai est «neutralisée», quant à celle de janvier qu'une partie des élèves n'a pas pu passer avec les mobilisations, elle est reportée… à plus tard. Les élèves de troisième sont, sans surprise, dispensés aussi des épreuves écrites et de leur oral de brevet, qui sera attribué après examen de leur livret scolaire. Même topo pour les BTS.
Ce choix ne va-t-il pas accentuer le décrochage des élèves ?
Plusieurs profs interrogés ces derniers jours s'en inquiétaient à mesure que se profilait l'annonce de l'annulation des épreuves du bac. «Surtout, il ne faut pas que les élèves le sachent, il faut attendre le plus longtemps possible avant de leur dire», proposait un peu en panique une prof de lettres en lycée pro. Certains ont d'ailleurs déjà décroché. «5 % à 8 % des élèves», toutes filières confondues, selon les calculs du ministère, sans que l'on sache - malgré nos demandes - sur quelles données repose cette estimation… Dans les lycées pro, c'est notamment le cas des CAP. «Les professeurs arrivent à garder le contact avec un tiers seulement des élèves selon nos remontées», indiquait le Snuep-FSU, syndicat minoritaire des enseignants du professionnel.
Vendredi, le ministre a annoncé qu'une appréciation serait donnée par les profs sur ce troisième trimestre, et notamment sur le travail et la motivation des élèves durant le confinement. Elle «permettra au jury d'examen de hausser ou de baisser la note que les élèves auront au titre du contrôle continu», a-t-il averti. Une carotte pour inciter les élèves à travailler. Pour les jeunes en difficulté, il a aussi annoncé un dispositif de soutien scolaire - à distance ! - proposé pendant ces vacances de printemps, qui débutent ce samedi à Paris, Créteil et Montpellier. Mais comment aider les élèves en difficulté si les professeurs ont perdu le contact ? Le ministre n'a pas répondu.
D'autres se prennent à rêver. Et si cette séquence inédite remettait à plat la grammaire de notre système éducatif ? Pour le sociologue Pierre Merle, spécialiste de l'évaluation scolaire, le confinement pourrait être enfin le moment «de changer le rapport à la note, d'avoir des évaluations plus par compétences, sous forme de couleurs, qui ne hiérarchisent pas de façon systématique les élèves entre eux».