Trois semaines de confinement déjà. Certains tiennent bon, respectent à la lettre les règles, d’autres craquent, notamment quand le soleil se met à briller. Echos de confinés de Paris à Bordeaux, en passant par Strasbourg.
Bertrand, 50 ans, Cadre, Paris XIXe «Tout le monde n'a pas conscience de la gravité de la situation»
«Je sors juste du Covid. Les premiers symptômes sont arrivés le week-end des élections, juste avant le confinement : j’ai ressenti une énorme fatigue, je n’arrêtais pas de dormir. Un état grippal a succédé : fièvre, toux. Quelques jours après est arrivée la gêne respiratoire : j’étais à bout de souffle, avec l’impression de ne pas pouvoir remplir complètement mes poumons. C’était assez flippant. Là, je me suis dit que c’était sans doute le Covid-19 et j’ai téléconsulté, mon médecin a confirmé. Le plus dur, ça n’a pas été l’aspect physique mais psychologique, l’inquiétude, l’inconnu, ne pas savoir comment ça allait évoluer, et l’idée que j’avais pu contaminer mes proches, mon compagnon et notre fils, mais aussi des collègues, ou même des inconnus en allant faire mes courses.
«Là, ça fait trois semaines que je ne suis pas sorti et dès le premier soir de fièvre, j’ai fait chambre à part, salle de bains à part, repas à part. Mon compagnon sort juste deux fois maximum par semaine, pour faire les courses. Quand je regarde dans la rue, j’ai l’impression que tout le monde n’a pas conscience de la gravité de la situation et du rôle à jouer dans la non-propagation de cette épidémie. Cela dit, je reconnais que mes conditions de confinement - grand appartement avec terrasse, pas de violence domestique ou voisin qui tambourine - sont privilégiées et je comprends parfaitement que ceux qui vivent à l’étroit aient un réel besoin de sortir.»
Maëlle et Thibaud, 30 et 33 ans, restaurateurs (Bordeaux) «On a dû se faire violence pour ne pas rester trop longtemps dehors»
«On est tous les deux restaurateurs. On a dû arrêter notre activité. Pas le choix. On vit à trois dans un appartement de 55 m2 avec notre fille de 4 ans, dans le centre de Bordeaux. Au début on respectait les règles du confinement. Scrupuleusement. Puis, c'est vrai, il y a eu un relâchement. Surtout ce week-end. Il faisait tellement beau, on a dû se faire violence pour ne pas rester trop longtemps dehors. Notre fille, Thea, courait partout. Elle voulait en profiter car on n'a ni jardin ni balcon.
«D’habitude, on se promène autour de notre immeuble trois quarts d’heure. Mais, depuis la semaine dernière, on triche un peu. On grappille du temps pour rester au soleil. Quand on ne se fait pas contrôler, on sort jusqu’à trois fois par jour. Nous ne sommes pas rebelles ou inconscients, mais rester entre quatre murs des journées entières a de quoi rendre dingue. Nos amis nous ont fait culpabiliser, alors on va revenir aux bonnes habitudes du confinement. En plus, l’une est infirmière. Et le meilleur moyen de la soutenir c’est de rester chez nous, comme elle dit. C’est vrai qu’avec du recul, quand on voit autant de gens sortir avec ce soleil, on se dit que c’est trop tôt. Il y a encore tellement de morts. Il faut mettre de côté notre confort personnel pour ne pas gâcher tous les efforts qu’on a fait jusque-là.»
Pierre, 36 ans, agent de maîtrise en RH (Val-d'Oise) «J'ai peur de péter les plombs»
«Le confinement rend le travail plus compliqué. On est chez soi, mais je ne sais pas… J’ai l’impression de bosser plus. Ou bien de bosser moins, mais avec la difficulté d’être isolé, et ça ajoute une fatigue inédite. On ne sort plus déjeuner pour casser le rythme et il n’y a plus personne pour discuter. Les journées sont plus longues. Ça use nerveusement et physiquement. Et plus ça passe, plus j’ai besoin d’air pour assumer une journée de travail. Je me sens "rincé" à la fin du boulot.
«C’est évident, je sors plus souvent qu’il y a trois semaines. J’ai besoin de souffler, de me débarrasser de cette impression de me ramollir. On n’a plus que les écrans, le décompte des morts tous les soirs et les séries. Le corps en prend un coup. Quand tu prends l’air, une partie de cette mauvaise fatigue s’en va. Je suis seul. Je ne me plains pas, d’autres vivent des choses plus compliquées. Mais j’ai peur de péter les plombs et de me laisser complètement dépasser. Je ne suis pas irrespectueux des consignes mais je sors plus d’une heure par jour et allonge un peu les distances. Au lieu d’aller au magasin d’à côté, je vais un peu plus loin. En faisant attention. Changer de trottoir quand il y a du monde, respecter les distances, ne pas aller dans des endroits fréquentés. D’une certaine façon, je préfère sortir plus en étant prudent plutôt qu’un jour devenir "fou" et aller comme d’autres me balader dans Paris, au milieu de tout le monde.»
Karim, 25 ans, travailleur social, Strasbourg «En trois semaines, je ne suis pas allé à plus de 300 mètres»
«J’habite le quartier de Neudorf, où il y a des logements sociaux comme des rues très bourgeoises. Je vis seul dans mon studio de 25 m². J’aurais pu rentrer chez mes parents à Forbach, en Moselle, mais j’ai préféré rester et ne pas prendre le risque de contaminer mon frère, mon père de 72 ans et ma mère, plus jeune mais qui a déjà eu des problèmes aux poumons. Je travaille de chez moi et sors juste pour les courses. Deux fois par semaine, je vais dans un petit Auchan et pratiquement tous les jours à la boulangerie, en bas de chez moi. Sinon je ne sors pas. En trois semaines, je ne suis jamais allé à plus de 300 mètres.
«Vendredi, j'étais aux courses à 8 heures. Il y avait une bonne trentaine de personnes. J'étais impressionné par le respect des règles : les vigiles faisaient entrer quelqu'un chaque fois qu'une personne sortait. Pas mal de gens portaient des masques. Les distances de 1 mètre étaient tenues. Autour de moi, tout le monde ne sort que pour le nécessaire. Je n'ai pas l'impression que des gens enfreignent les règles. C'est sûrement parce que l'Alsace est particulièrement touchée par le Covid-19. Tout le monde comprend la gravité de la situation. Après, parmi les jeunes, certains vivent à trois ou quatre dans 25 m2 à Strasbourg. D'autres vivent en foyer. Ils sont isolés, sans connexion internet. Au bout de trois semaines, je comprends que ce ne soit pas simple pour eux de respecter parfaitement le confinement.»