Ehsan (1), 32 ans, est un ancien traducteur de l’armée française en Afghanistan. Arrivé en France légalement, avec un visa, en novembre, il est depuis SDF. Il s’est réfugié en banlieue parisienne chez un ami et compatriote pour la durée du confinement.
«Je ne suis sorti qu'une fois en sept jours. Il n'y a rien dehors, pas de magasin, que des immeubles. Je passe mes journées dans l'appartement d'un ami. C'est un studio de 8 m2, avec une mezzanine. Je dors en bas, à côté de la porte d'entrée et de la kitchenette. Je reste éveillé jusqu'à 3 ou 4 heures du matin, je n'arrive pas à m'endormir avant, j'ai mal aux jambes et au dos.
«La journée, je regarde les informations sur l'épidémie avec mon téléphone, surtout sur BFM et France Info. J'appelle aussi ma famille à Kaboul tous les deux jours. Ma mère vit avec mes sœurs dans la même maison. Elles aussi sont confinées, elles ne sortent que pour faire des courses. Mes sœurs ne peuvent plus travailler, elles n'ont pas été payées depuis février. Je leur avais laissé 2 000 dollars [1 850 euros] avant de partir en France, elles vivent avec cet argent. Il y en a encore, mais je ne sais pas combien de temps elles pourront tenir.
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«Moi, il ne me reste plus que 90 euros, 10 dollars [9,20 euros] et 50 afghanis [60 centimes d'euros]. Je dépense à peu près 45 euros par semaine. C'est ma part pour la nourriture. J'ai de la chance, l'ami qui m'héberge travaille dans un hypermarché. Il s'occupe de faire les courses. Je ne sais pas comment je vais faire après, dans deux semaines. J'ai été reçu au ministère de la Défense, à Paris, mais ils m'ont dit qu'ils ne pouvaient rien faire, qu'ils ne pouvaient pas m'aider.
«Je ne comprends pas, j'ai travaillé pendant quatre ans avec l'armée française, j'ai participé à des dizaines d'opérations en Kapisa [région au nord-est de Kaboul]. Je n'ai pas non plus de nouvelles de ma carte de séjour. La demande est en cours, c'est tout ce que je sais. Je n'ai droit à aucune aide, ni pour le logement ni pour la santé. Avant le confinement, je dormais à droite et à gauche, chez des connaissances, jamais plus de deux ou trois nuits d'affilée. Le reste du temps, je dormais dehors, dans des gares de RER. Je préfère celles qui sont en bout de ligne, pas celles dans Paris où l'on se fait agresser. Je n'ose pas parler de ma situation aux autres traducteurs afghans qui vivent en France. Je n'en parle pas non plus à ma famille à Kaboul. J'ai trop honte, je ne veux pas qu'ils me voient comme un SDF. Si j'avais de l'argent, je repartirais en Afghanistan.»
(1) Le prénom a été modifié.