Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Le temps a changé. Et cela n'a rien à voir avec la météo. L'air est moins électrique. Une éclaircie, c'est «un trou» dans un ciel lourd de nuages. Là, c'est un homme en blanc en pause, dos au mur, masque au bas du menton, qui fume lentement une cigarette au lieu de la griller. Des infirmières prennent le temps de se raconter : «Dimanche, de repos, me suis réveillée à 6 heures du matin. Les gosses ont dormi jusqu'à midi. Me suis retrouvée seule comme une idiote…»
A l'étage, la salle de régulation, véritable tour de contrôle des appels de détresse, semble revenir à la raison. Jusqu'ici, on se serait cru à la Bourse en plein krach mondial : 46 médecins-urgentistes, généralistes, étudiants formés en urgence, 7 600 coups de téléphone par jour, 2 300 dossiers médicaux constitués sur appel, 24 heures sur 24. Covid sévère, Covid urgent, Covid gravissime, Covid ! Là, pour la première fois, un coin de ciel. Plus que 1 500 appels, le double tout de même de l'activité normale et, toujours, 500 interventions en ambulance. Aux urgences, on ne vit plus cerné de malades à la dérive, regard perdu, soufflet de forge dans la poitrine. Certes, on en voit encore, comme cette vieille dame, maghrébine, qui étouffe sous l'œil paniqué de sa fille : «Comprends pas. Depuis quinze jours, elle n'a vu personne !» «Personne, vraiment ?» «Je vous jure. Sauf la famille, bien sûr»…
Fait nouveau, les médecins voient revenir des patients «classiques» qui redoutaient le bouillon de culture de l'hôpital, «comme si l'épidémie était derrière nous», s'inquiète le docteur Anna (1). Coup d'œil au calendrier. La première déferlante a balayé les contaminés d'avant le confinement. L'accalmie relative est bien le résultat des mesures d'isolement. Depuis, il y a eu les beaux jours, «les gens se promènent en famille le long du canal de l'Ourcq», peste le médecin. Et ce mot malheureux de «déconfinement» prononcé par le Premier ministre, juste avant les nouvelles apaisantes sur le «plateau» du Covid. Signal trompeur. «Le week-end de Pâques, on risque de recevoir les nouveaux contaminés à J + 7, en pleine détresse respiratoire !» Eclaircie : brève interruption du mauvais temps. «Une éclaircie n'est pas le printemps», grogne le professeur Michel, qui supplie la population de ne pas se relâcher.
Le «pic» ne sera derrière nous que lorsque 60 % des Français seront immunisés, «ce qui n'est pas le cas». D'ailleurs, au service de réanimation, tous les lits sont encore occupés. Entre deux intubations, le Dr Hassan s'assoit, rincé : «Vous aimez le foot ? Face au Covid, on perdait 1-0. On a égalisé juste avant la mi-temps. La seconde, cruciale, va commencer, sans remplaçant. Et on est déjà tous bourrés de crampes.»
(1) Les prénoms ont été modifiés.