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Covid-19

Economie : des secteurs clés à verrouiller

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Si dans certaines filières, comme les télécoms ou l’aérien, la France est largement indépendante, d’autres ont été largement fragilisées.
Les salariés de l’usine Luxfer, spécialisée dans la fabrication de bouteilles de gaz et désormais fermée, à Gerzat (Puy-de-Dome) le 12 février 2019. (Photo Pascal Aimar pour Libération)
publié le 7 avril 2020 à 20h01

Arnaud Montebourg a de la suite dans les idées quand il s'agit de protéger les secteurs clés de l'industrie française, à la fois pourvoyeurs d'emplois et essentiels au bon fonctionnement du pays. La pandémie a rappelé crûment le caractère éminemment stratégique de plusieurs activités que l'Etat peut - et doit - couver d'un regard plus vigilant : santé, alimentation, transports, énergie, télécoms…

Et ce n'est pas un hasard si ce chantre du «patriotisme économique» redonne de la voix dans Libération pour appeler à «une reconquête de notre souveraineté» dans tous ces domaines : en 2014, alors ministre de l'Economie (et du «Redressement productif»), il avait édicté le fameux «décret Montebourg» listant ces secteurs où l'Etat a son mot à dire quand une entreprise essentielle risque de passer sous pavillon étranger. Une réponse au rachat des turbines d'Alstom par l'américain General Electric validé par un certain Emmanuel Macron, alors secrétaire général adjoint de François Hollande à l'Elysée…

Ce décret stipule que toute prise de contrôle d'une boîte stratégique par un actionnaire étranger doit être soumise au feu vert préalable de l'Etat, avec engagements à la clé. Il a déjà servi au moment du rachat des Chantiers de l'Atlantique par l'italien Fincantieri. Et a été élargi aux technologies du numérique par l'actuel ministre de l'Economie, Bruno Le Maire. Libé balaye ici les secteurs clés qu'il va falloir sécuriser, voire relocaliser, à la lumière de cette crise sanitaire.

Santé

Réveil tardif face à la dépendance

La souveraineté sanitaire de la France a montré ses limites face au coronavirus. Avec seulement quatre fabricants, l'Hexagone s'est retrouvé en grave pénurie de masques, produits à 80 % en Chine. Des difficultés d'approvisionnement qui se font aussi sentir sur le marché des médicaments : 60 % des composants actifs - qui entrent pour 80 % dans leur fabrication - sont importés d'Asie, les deux tiers venant de Chine. En raison du manque de stocks organisé dans les laboratoires, la France est ainsi passée en dix ans de 40 médicaments répertoriés sous tension en 2008… à 1 450 en 2019. «Il faudra forcément que nous soyons plus autonomes en matière de médicaments, que nous relocalisions une partie de la production», a déclaré le ministre de la Santé, Olivier Véran.

Les médicaments les plus courants (antidouleurs, vaccins, antidépresseurs, traitements contre l’hypertension et le diabète) sont les plus dépendants des chimistes chinois. Produits à faible coût en Asie, leur prix a fortement baissé mais leur disponibilité est devenue plus aléatoire. Le 24 février, deux jours avant que l’épidémie ne fasse sa première victime en France, le «Big pharma» tricolore Sanofi a annoncé son intention de relocaliser la production de certaines de ses molécules phares en créant une nouvelle entité de six usines européennes - dont deux en France.

Un recentrage illustrant bien les limites des délocalisations en matière de santé, dont ne profiteront pourtant pas les 136 salariés de l'usine Luxfer à Gerzat (Puy-de-Dôme). Seul producteur sur le sol français de bouteilles à oxygène, ce site ne sera pas sauvé par une nationalisation comme le demandait son personnel. «Ni les salariés ni les machines ne sont disponibles pour reprendre l'activité, interrompue depuis fin 2019, ce qui rend la production impossible», leur a répondu le ministre de l'Economie.

Aérien et automobile

Déjà bien protégés

Impossible d’être l’un des deux géants mondiaux de l’aéronautique et de rester insensible aux soubresauts économiques ou sanitaires de la planète. L’assemblage des Airbus ne se résume pas aux usines de Toulouse et de Hambourg. Des appareils sortent aussi des usines canadiennes, américaines et chinoises du groupe. En cas de contentieux avec les Etats-Unis, des taxes dissuasives peuvent être imposées aux appareils produits en France mais aussi au Canada.

Par ailleurs, le seul fournisseur de matériau composite d’Airbus, HMC, qui permet de fabriquer des avions plus légers, se trouve à Harbin (nord de la Chine). Avec la pandémie, l’approvisionnement a été interrompu juste avant que le site de Toulouse ne suspende sa production. Enfin, 30 % à 40 % de la valeur d’un avion est constituée par ses moteurs. Le plus utilisé pour les Airbus A320, le CFM56, est assemblé en Seine-et-Marne par Safran, avec General Electric. En revanche, les appareils équipés de réacteurs Pratt & Whitney sont dépendants d’une usine au Canada.

Pas d’inquiétude en revanche sur le capital d’Airbus : la présence des Etats français et allemands et l’interdiction faite de posséder plus de 15 % des parts protègent le fleuron européen d’un raid mené par des investisseurs inamicaux.

C’est un montage encore plus solide qui protège le groupe Renault, dans lequel l’Etat est actionnaire à hauteur de 15 %. Depuis 2013, l’Etat dispose de droits de vote doubles qui le mettent en position de force face à une OPA inamicale.

Télécoms

Des opérateurs forts… et une faille

Les réseaux télécoms français ont tenu le choc du confinement avec son pic d'appels et de consommation vidéo. Pour ces infrastructures essentielles à la vie numérique, la souveraineté semble assurée. Les quatre grands du secteur ont des actionnaires solides : l'Etat pour Orange, Patrick Drahi (propriétaire de Libé) pour SFR, la famille Bouygues pour Bouygues Telecom et Xavier Niel pour Free. Le risque d'une OPA hostile est quasi-nul. Ce sont plutôt les Français qui chassent à l'étranger. Orange y fait presque la moitié de son chiffre d'affaires ; Altice (SFR) est à l'offensive aux Etats-Unis ; Free vient d'attaquer l'Italie. A domicile, le quatuor s'est engagé dans le déploiement de la fibre optique, pour des débits plus rapides.

La situation est moins propice au cocorico dans le domaine des équipements télécoms. La France a longtemps été une référence avec Alcatel. Mais après bien des déboires, l'entreprise a été absorbée en 2015 par le finlandais Nokia. A l'époque, Macron, ministre de l'Economie de Hollande, vantait la naissance d'un «grand champion européen» face au géant chinois Huawei. Cinq ans plus tard, le nouvel ensemble est largement surclassé par son rival asiatique et le suédois Ericsson. Les plans sociaux s'enchaînent et l'entreprise est en retard sur le plan technologique par rapport à Huawei. Comme d'autres pays, la France se demande si elle peut faire confiance à l'équipementier chinois pour son réseau mobile 5G… La question va se poser encore plus après cette crise.

Médias

Combien de divisions ?

Dans le monde désormais numérique des médias, la France est mal partie pour gagner la bataille : les grands récits sont racontés par les américains Netflix, Amazon et Disney (qui lançait mardi en France son service de streaming). Quant aux informations, elles se partagent d'abord sur des réseaux bâtis aux Etats-Unis : Google (YouTube), Facebook (Instagram et WhatsApp), Twitter… En embuscade, la Russie et la Chine polissent leurs instruments. Depuis plusieurs années, tentatives de désinformation et opérations d'influence pleuvent.

Que fait la France ? Elle réduit les budgets de ses médias de service public. Mises à la diète par Macron, France Télévisions et Radio France sont pourtant très suivies depuis le début de la crise, signe qu'elles sont des valeurs sûres pour la population, à l'instar d'autres médias historiques. Aussi, des premiers signes de revirement apparaissent dans la majorité. Le député Bruno Studer, qui préside la commission des affaires culturelles, ne veut plus fermer France 4, la chaîne jeunesse montrant son utilité pédagogique alors que les écoles sont fermées. Quant à Aurore Bergé, rapporteure de la loi de réforme de l'audiovisuel, elle appelle à défendre la «souveraineté culturelle» en instaurant un crédit d'impôt pour les annonceurs. Le but ? Soutenir l'ensemble de l'écosystème médiatique français, menacé par une grave crise publicitaire. La résistance à Netflix et Russia Today passe aussi par la défense des télés, radios et journaux privés.