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Interview

Pompiers : «On est entraînés, mais c’est lourd à porter»

Le général Jean-Marie Gontier, commandant de la BSPP, raconte comment ses équipes se sont adaptées face à l’épidémie de Covid-19. Une organisation qui doit composer avec les habituelles missions contre les incendies.
Intervention des sapeurs-pompiers en Ile-de-France, le 2 avril. (Photo Marc Chaumeil pour Libération)
publié le 7 avril 2020 à 19h26

La brigade des sapeurs-pompiers de Paris (BSPP) a souvent été en première ligne lors de crises récentes. Lors des attentats de 2015, avec un afflux massif de victimes à secourir. Mais aussi plus récemment face à des incendies de grande ampleur, comme celui de la rue Erlanger, en février 2019, ou encore deux mois plus tard celui de la cathédrale Notre-Dame. Cette unité d'élite de 8 500 personnes qui intervient à Paris et dans les départements de Seine-Saint-Denis, des Hauts-de-Seine et du Val-de-Marne est aujourd'hui confrontée à de nombreuses interventions liées à l'épidémie de Covid-19. Le général Jean-Marie Gontier dresse pour Libération un état des lieux de l'action et des difficultés rencontrées par sa brigade durant cette crise.

Etiez-vous prêt à affronter la vague de l’épidémie qui frappe l’Ile-de-France depuis le mois de mars ?

Pour nous, les premières prises en charge ont débuté dès janvier. En février, nous étions entre un et deux patients Covid-19 par jour. Au début du mois de mars, c’était aux alentours de 100-120 interventions quotidiennes. Et depuis une semaine, on est entre 350 et 550. Certains jours, nous n’avons plus qu’une réserve d’une vingtaine ou d’une trentaine de véhicules de secours disponible. C’est très peu, mais ça a tenu. Sur le terrain, on n’a jamais été dépassés. En revanche, au niveau de la prise d’appels, c’était beaucoup plus compliqué. On a pris la vague, avec un très grand nombre de personnes inquiètes.

Cette activité liée à l’épidémie n’est pourtant pas la seule à gérer pour la BSPP…

Dans le pré-hospitalier, il y a tout un tas d’acteurs qui se complètent. De mon côté, je dois aussi m’assurer que pour les incendies, où nous sommes seuls, on dispose de forces suffisantes. D’autant que les immeubles d’habitations sont soumis en ce moment à une utilisation plus intensive. Dès que la crise a commencé, on a donc dû réfléchir au moyen de conserver toute notre capacité opérationnelle car il ne fallait surtout pas négliger les interventions courantes.

Avez-vous dû adapter votre fonctionnement ?

Nous avons réorganisé nos équipes en interne. En ce moment, nos pompiers font des gardes de cinq jours, contrairement à deux habituellement. L’avantage, c’est que dans les bureaux, tous les personnels sont à jour en secourisme, donc même la personne qui remplit les contrats pour les marchés publics ou s’occupe des ressources humaines peut monter dans un véhicule et assurer les missions. Depuis dix jours, on a dû faire appel à cette réserve, notamment pour avoir plus de véhicules disponibles dans l’est de Paris et en Seine-Saint-Denis. Ce sont les endroits où l’on reçoit le plus d’appels. On a essayé aussi d’apporter des forces en dehors de nos casernes. Certains de nos médecins s’occupent de soins intensifs dans les hôpitaux militaires de Percy et Bégin. Nos soignants sont également mobilisés sur les transferts de patients graves dans d’autres régions. Enfin, on a des sections de brancardiers qui vont soutenir les équipes d’infirmiers à tourner les personnes intubées afin de les aider à respirer.

Comment gérez-vous le risque pris par les pompiers face à l’épidémie ?

On doit effectivement être très vigilant pour repérer les symptômes, car un malade peut contaminer une garde entière et, dans le pire des cas, nous contraindre à fermer un centre de secours. Aujourd’hui, nous avons une quarantaine de cas avérés de Covid-19. Et 370 pompiers sont sortis des gardes parce qu’ils sont symptomatiques.

En quoi vos interventions liées au Covid-19 sont-elles spécifiques ?

Quand vous aidez quelqu’un qui a pris un coup de couteau, vous savez faire les gestes techniques. Mais face à un cas de Covid-19, ce n’est pas de la technicité, c’est de l’humain à 100 %. On est entraînés, mais c’est lourd à porter. Même si le combat le plus dur, actuellement, est bien sûr à l’hôpital. Quand on part sur incendie, comme Notre-Dame par exemple, c’est un combat intense de huit à dix heures, il y a un ennemi visible, le feu, et puis à la fin de l’intervention, on passe à autre chose. Là, ça fait depuis le mois de janvier qu’on est face à cette épidémie et on ne sait pas quand ça se terminera. On n’a pas l’habitude d’être confrontés à ça. Une forme d’impuissance se révèle à nous et il faut de l’endurance.