Tous démondialisateurs ? La crise du coronavirus n’a pas achevé ses ravages que, déjà, beaucoup de responsables politiques convergent pour instruire le procès de la mondialisation telle qu’elle est. La période, par les urgences qu’elle génère, questionne notre autonomie de production dans de nombreux secteurs, la fragilisation de notre système public hospitalier, l’interdépendance de nos économies financiarisées en temps de krachs boursiers et plus largement la capacité de notre Etat à faire face.
Les mots «biens communs», «relocalisation» et même «nationalisation» sont désormais prononcés par des bouches que ces termes écorchaient jusque-là. Et l'argent public semble à présent couler sans se soucier du niveau futur des dettes publiques. Sans parler de victoire pour les antilibéraux, l'idée que le capitalisme financier et la mondialisation dérégulée sont dans l'impasse est désormais affirmée jusqu'au sommet de l'Etat. «Il nous faudra demain […] interroger le modèle de développement dans lequel s'est engagé notre monde depuis des décennies et qui dévoile ses failles au grand jour», a ainsi lancé Emmanuel Macron le 12 mars, lors de sa première allocution télévisée sur la crise du coronavirus.
«Ruptures»
Mais si défendre, conjoncturellement, des actifs fragilisés par la chute des marchés financiers est une chose, relocaliser sur le territoire national ou européen des industries qui l’ont quitté pour des raisons de coût de production en est une toute autre. Chacune des deux en appelle au «patriotisme économique», mais la première consiste à mobiliser des capitaux publics quand la seconde amène à minorer des profits privés. A chaque fois, l’intervention de l’Etat apparaît comme un enjeu central. Or ces dernières décennies, l’«Etat stratège» a plus souvent été spectateur des délocalisations qu’acteur d’une réindustrialisation si possible écolo-compatible.
Soustraire certaines activités à la voracité capitaliste, même Emmanuel Macron l'affirme désormais. Le 12 mars, il a expliqué «qu'il est des biens et des services qui doivent être placés en dehors des lois du marché». La santé et «l'Etat-providence ne sont pas des coûts ou des charges mais des biens précieux», a-t-il insisté avant de souligner que «déléguer notre alimentation, notre protection, notre capacité à soigner notre cadre de vie au fond à d'autres [était] une folie». Et Macron de promettre «des décisions de rupture» à l'échelle nationale et européenne dans «les prochaines semaines et les prochains mois».
Le défi, en France comme en Europe, consiste donc à assumer une forme de souverainisme à la Jean-Pierre Chevènement sans ouvrir de boulevard au nationalisme de Marine Le Pen. Côté Rassemblement national, où on pointe depuis des lustres les «mondialistes» qui se succèdent au pouvoir, on martèle que la frontière nationale n’a jamais eu autant de pertinence : contre les virus, les migrants ou les travailleurs détachés. Dans un registre plus internationaliste et «humaniste», Jean-Luc Mélenchon fait lui aussi depuis des années le procès de ce libéralisme aussi sauvage que mondial, incarnés par les traités de libre-échange signés par l’UE.
«Trompe-l’œil»
Au-delà des chapelles partisanes, les «nonistes» de 2005 rejoints par les écolos peuvent dire que l'Histoire leur donne en partie raison. Le «Made in France» d'Arnaud Montebourg est un slogan plus que jamais d'actualité. «Parler de "relocalisation" devient politiquement correct, ironise Emmanuel Maurel, ex-leader de l'aile gauche du PS aujourd'hui eurodéputé LFI. Mais gare à la victoire culturelle en trompe-l'œil. Comment faire confiance à Macron pour mener cette politique ? Il continue de penser que l'attractivité de la France est une affaire de "coût du travail" et de fiscalité trop importante. Pour nous, c'est une question de qualité de la main-d'œuvre, donc de formation, et d'équipement publics, donc d'investissements.»
A droite aussi un certain aggiornamento se fait jour. A l'instar du numéro 3 de LR Aurélien Pradié sur Libé.fr, une partie de la jeune garde interroge la place de l'Etat et le rôle de la dépense publique au-delà des dogmes libéraux et avec l'idée qu'il s'agit de «renverser la table». Le courant interventionniste a une tradition à droite. Ce questionnement touche aussi un Gilles Carrez, dix ans rapporteur général du budget, qui n'hésite plus à fustiger la «dictature et la mondialisation de la finance».
Pour réussir une forme d'«union nationale» d'après crise, le pragmatisme macroniste viendra-t-il piocher, dans les prochains mois, dans ces familles de pensées après avoir réuni libéraux et «progressistes» des deux camps en 2017 ? Un nouveau «en même temps» protectionniste et non plus libéral ? Pas si sûr… Le 30 mars, lors d'une visite dans une usine de masques en Anjou, le chef de l'Etat a mis en avant ses «réformes», qui ont permis à la France «d'être plus [compétitive]» pour permettre de «produire davantage en France» et «retrouver cette indépendance». Loin, pour l'instant, de la «rupture» promise.