Du flair ou un incroyable coup de pot ? On n'est pas sûr de savoir comment qualifier justement l'idée qui a conduit Leo Pearlman et Ben Turner, les deux producteurs de Sunderland 'til I die, à s'intéresser à ce club de football du nord-est ouvrier de l'Angleterre, dans une ville débordant d'amour pour son équipe. A l'origine, la première saison de l'emballante série Netflix devait narrer, après une triste descente en deuxième division, l'épique tentative de remontée des «Black Cats» vers la prestigieuse Premier League, l'élite du ballon rond britannique. Mais «la glorieuse incertitude du sport» n'étant pas seulement un cliché éculé, rien ne se passa comme prévu. Et la saison 2017-2018 de Sunderland s'acheva, comme une tragédie grecque dont le chœur éploré serait le kop de supporteurs, par une nouvelle relégation.
Sunderland 'Til I Die season 2 arrives on April 1st. Looking forward to finding out how this one ends… 🙃 pic.twitter.com/SEBYjgic6c
— Netflix UK & Ireland (@NetflixUK) March 18, 2020
D'un point de vue dramaturgique, la chose n'en est que plus bénéfique pour la série. D'abord parce qu'elle donne donne un nouvel élan à la trajectoire du club. L'ancien propriétaire honni, Ellis Short, a vendu Sunderland à un Anglais ayant fait fortune dans les assurances, Stewart Donald. La deuxième saison, encore plus palpitante que la première, s'attache à raconter la façon dont le nouveau patron tente de sortir l'équipe de la pénible troisième division. Très impliqué dans le projet, amoureux sincère du foot, le personnage gagne une certaine sympathie par la naïveté dont il fait preuve face aux réalités du business qu'est devenu le foot. Il faut le voir, paumé, dans un épisode d'anthologie, se faire rouler lors du mercato d'hiver en surpayant un joueur, Will Grigg, plus connu pour la bienveillante chanson que les Nord-Irlandais lui ont composé en un hommage ironique que pour ses qualités de joueur. L'entraîneur de l'équipe et les cadres du club ont beau dire leur opposition à ce transfert, Stewart Donald craque sous la pression du peuple et de l'ego. Humain, trop humain. «Ce club de foot va me tuer», concède-t-il à un moment de désespoir amusé.
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«Culture d’entreprise»
A ses côtés, le directeur général, Charlie Methven, surgit en fascinant anti-héros, plus préoccupé par les questions marketing que par le jeu pratiqué par l'équipe. Alternant entre la brutalité et le sourire, l'ex-journaliste du quotidien conservateur Daily Telegraph se montre surtout soucieux de trouver la musique qui fera résonner le son d'Ibiza dans le stade de Sunderland et, encore davantage, de secouer son équipe de commerciaux. Manière de «changer la culture d'entreprise». Dans certaines scènes proches de la leçon de management pour les nuls, on verrait presque, sous ses traits, apparaître le visage de David Brent ou Michael Scott, les patrons crétins de The Office (héros respectifs des versions UK ou US de la sitcom). Charlie Methven parvient in extremis à sauver son cas en faisant de l'amour inconditionnel des fans, dont l'accent tranche singulièrement avec le sien typiquement oxfordien, le pivot de sa stratégie de reconquête et de croissance. «Ce club vous appartient», leur dit-il dans un accès de lucidité.
L’autre grande force de l’improbable destin du documentaire, peut-être le meilleur jamais réalisé sur le foot du XXIe siècle, est là : en s’enfonçant dans les profondeurs des classements, il creuse les absurdités financières d’un système dans lequel le départ d’un buteur, Josh Maja, vous fait vivre les plus grands tourments, menaçant tout l’édifice. Au plus près de la réalité, grâce à la présence indiscrète des caméras dans des moments que le monde du foot fait d’habitude tout pour cacher. Nulle place ici pour la célébration des dirigeants ou des grands champions. Les footballeurs sont filmés en action à ras de la pelouse, à hauteur d’homme. Et montrés, lors d’entretiens serrés, dans leurs doutes. Toute l’héroïsation du propos est reportée sur des supporteurs qui semblent parfois les seuls à tenir bon dans ce grand foutoir. Un choix éditorial légitime. Car au final, qui porte, sinon la dévorante passion des fans, toute l’équation économique du foot professionnel d’aujourd’hui ?
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