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Lingettes

Pendant l'épidémie, «pensez aux gens qui dépolluent les eaux usées»

La pandémie de Covid-19 en Francedossier
Déjà essentiel en temps normal, l'assainissement des eaux usées se révèle crucial avec le confinement. A l'usine de traitement de Valenton opérée par Veolia, les techniciens ont vu leur charge de travail augmenter en raison d'un afflux de lingettes désinfectantes.
En 2002, un bassin de décantation de la station de traitement des eaux Seine-Aval, dans les Yvelines. Photo d'illustration. (JEAN-PIERRE MULLER/Photo Jean-Pierre Muller. AFP)
publié le 8 avril 2020 à 15h13

La station d'épuration des eaux usées de Valenton (Val-de-Marne), la deuxième plus grande d'Europe, est aussi imposante qu'essentielle aux collectivités qui en dépendent. D'une capacité de 800 000 m3 par jour, l'usine reçoit et assainit les eaux de 128 communes, environ un quart de l'agglomération parisienne. Elle les prétraite (en capturant notamment au moyen de grilles les divers objets jetés dans nos toilettes), les traite à l'aide de bactéries, puis sèche et incinère les boues qui en résultent. Dès l'annonce du confinement, les équipes qui assurent l'exploitation et la maintenance du site ont été divisées par deux : chaque demi-équipe est présente sur place une semaine sur deux, l'autre étant en réserve. Tous les salariés qui pouvaient être placés en télétravail l'ont été. De sorte qu'il ne reste plus qu'une quarantaine de personnes sur le site, soit un quart des effectifs habituels.

«Pour l'instant, cette adaptation de notre organisation, qui correspond à la première phase de notre plan de continuité d'activité (PCA), nous permet de maintenir la continuité des tâches d'exploitation et de maintenance essentielles et les contrôles réglementaires. Seuls les gros travaux d'améliorations ne sont pas réalisés», assure Magali Tournié, la directrice générale de Sival, la société qui exploite l'usine de Valenton, détenue à 60% par le groupe Veolia et à 40% par le Syndicat interdépartemental pour l'assainissement de l'agglomération parisienne (Siaap).

Outre le rappel des gestes barrières, de la distanciation sociale et une désinfection renforcée des bureaux, réfectoires, vestiaires ou sanitaires, les règles d'hygiène et de fonctionnement sur le site n'ont «pas fondamentalement changé» depuis le début de la crise sanitaire, dit la responsable de l'usine. «Nous travaillons dans un métier, l'assainissement, qui de toute façon nous impose des mesures spécifiques. Nos précautions en temps normal, par exemple le port de masques et casques à visière, protègent déjà les agents des risques pathogènes qu'il pourrait y avoir dans l'eau. Puisque l'OMS a indiqué dans un avis du 3 mars que le Covid-19 ne génère pas de risques additionnels dans la gestion des services d'assainissement, nos agents portent les équipements qu'ils avaient déjà.»

«Ne jetez pas vos lingettes dans les toilettes»

Aucun n'a exercé son droit de retrait, assure Magali Tournié, et les salariés «ont conscience de participer à un effort de guerre, de devoir continuer à traiter l'eau, une belle mission de service public». Elle en profite pour faire passer un message aux citoyens : «Pensez aux gens qui dépolluent les eaux usées, merci de ne pas jeter vos lingettes dans les toilettes mais à la poubelle !» Celles-ci, très prisées en ces temps de lutte contre le Covid, augmentent la charge de travail en entrée d'usine, là où se trouvent les grilles qui retiennent les déchets. Pour l'instant, à Valenton, une vigilance accrue sur ce poste suffit : comme il n'a pas plu ces dernières semaines, les lingettes ne sont pas encore arrivées dans l'usine. La plupart sont encore dans les canalisations, qu'elles bouchent allègrement. Résultat : dans toute la France, des centaines d'interventions en urgence, ces derniers jours, pour déboucher ou réparer les réseaux qui collectent les eaux usées.

«En ce moment, 75% de nos interventions terrain sur la partie assainissement sont dues à des lingettes qui bouchent les réseaux : il est pénible d'avoir à mobiliser les équipes sur cela, alors que nous essayons de les protéger, de les concentrer sur les choses essentielles, et que les effectifs sont limités», déplore Frédéric Van Heems, directeur général de l'activité Eau de Veolia en France. Sur les 15 000 personnes travaillant dans cette branche du géant mondial de l'eau et des déchets, 15% sont actuellement absents (problèmes de gardes d'enfants, de transport ou de maladie), 30% en télétravail et le reste des effectifs «tourne» en équipes réduites sur le terrain, dans les usines ou dans les centres d'appel. Les actions non urgentes ont été reportées (maintenance préventive, relevé de compteurs, etc.).

Pas de risque dans l’eau potable

«Avec cette réorganisation et cette priorisation, on arrive à assurer sans problème les services essentiels que sont l'assainissement des eaux usées et la livraison d'eau potable, à vérifier que la qualité de cette eau soit toujours impeccable», indique Frédéric Van Heems. Ce dernier martèle que «l'eau est le produit alimentaire le plus contrôlé en France» et qu'«il n'y a aucun danger concernant le Covid dans l'eau potable, car c'est un virus de taille relativement importante, facilement détruit par les traitements habituels à l'ozone et au charbon actif».

Veolia a activé plusieurs cellules de crise, qui se réunissent chaque jour par téléphone, au niveau du groupe mais aussi par métiers. Pour l'eau, en France, il existe une cellule nationale, 9 cellules régionales et 66 territoriales. «On est habitués à gérer des crises, même si celle-ci est inédite par son ampleur dans le temps et l'espace, et nous avons prévu de la marge dans notre PCA : si la crise perdurait, nous serions capables de fonctionner avec encore moins de personnel», affirme Frédéric Van Heems. Veolia travaille déjà à son «plan de reprise», en essayant de réfléchir aux différents scénarios de déconfinement que pourrait annoncer le gouvernement.