Leur disparition tragique des suites d’une contamination au nouveau coronavirus a marqué les esprits et, forcément, encore plus leurs collègues. Ces salarié(e) s qui étaient au contact de la clientèle à la caisse d’un grand magasin, dans les couloirs du métro ou à l’usine ont vraisemblablement contracté la maladie à leur poste de travail. Or les syndicats réclament depuis le début de l’épidémie de véritables mesures de protection pour tous les travailleurs «en première ligne», sans toujours être entendus, ou trop tardivement. Après l’inquiétude, l’heure est à la revendication sanitaire chez Carrefour, Renault, à la RATP et dans toutes entreprises où des gens tombent malades du Covid-19, parfois à en mourir.
Carrefour : «A un moment, ça va exploser»
Elle est une des premières salariées victime du Covid-19 dont l'histoire a été racontée. Le 26 mars, Aïcha Issadounène, 52 ans, caissière et élue CGT au Carrefour de Saint-Denis (Seine-Saint-Denis) est décédée après avoir été contaminée par le virus. «Un drame absolu», a réagi le groupe, après avoir mis en place une cellule psychologique. Début avril, dans un autre magasin de l'enseigne, Bercy 2, aux portes de Paris, les salariés ont appris la disparition d'un employé du rayon poissonnerie, Géraud, 45 ans. «Nous n'avons pas les résultats de l'autopsie, mais il y a de fortes suspicions. Sa collègue de rayon est en réanimation et a été testée positive au Covid», explique Ali Algul, délégué syndical CGT. Au total, selon lui, quatre cas de contamination sont avérés à Bercy 2, plus une quinzaine de suspicions. Depuis ce décès, le rayon poissonnerie a été placé en confinement, précise-t-il, et la réserve et les parties communes ont été désinfectées. Mais pour le cégétiste, il faut aller plus loin, en fermant les rayons non indispensables. «Les employés ont peur. Les mesures de sécurité sanitaire ont été mises en place tardivement», poursuit-il. Exemple : les masques n'ont été mis à disposition que le 31 mars. «Nous avons attendu que le gouvernement qui réservait les masques aux soignants nous donne le feu vert», a répondu la direction au Parisien, précisant que dans un premier temps, des «visières et casquettes» avaient été fournies. Mais les salariés craignent une bombe à retardement, alors que le fort absentéisme (74 salariés absents sur 260, selon la CGT) pèse sur les conditions de travail. «Il y a des tensions entre salariés, le travail des absents se reporte sur les présents. Les gens sont épuisés par le boulot et le stress. A un moment, ça va exploser. On n'avait déjà pas une ambiance très gaie dans la grande distribution, là c'est pire», raconte l'élu CGT. Jeudi, le groupe a de son côté assuré que la «priorité absolue» de Carrefour est «la santé de [ses] équipes ainsi que celle de [ses] clients depuis le premier jour».
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RATP : «Les collègues sont tous très affectés»
Fin mars, alors que le service est toujours assuré par la Régie des transports parisiens, les agents du dépôt de bus d'Aubervilliers apprennent le décès de Georges Merlot, un cadre du dépôt âgé d'une cinquantaine d'années. Dans la foulée, beaucoup de ses collègues lui ont rendu hommage. «C'était un chef et c'était un ami en même temps, dit Didier Dorzile, machiniste et délégué CGT qui l'a bien connu. Les collègues du dépôt l'ont aussi très mal accueilli parce que c'était quelqu'un qui était à l'écoute. La chose qu'ils répètent, c'est que ça sera plus jamais pareil après son décès.» Quelques jours plus tard, début avril, la RATP annonçait un autre décès, celui d'un agent de sûreté de 37 ans, Cyril Boulanger, lui aussi des suites de complications liées au coronavirus. Ce judoka de haut niveau était adhérent du syndicat SUD-RATP et encadrant au sein du Groupe de protection et de sécurisation des réseaux (GPSR), basé à la gare de Lyon (Paris, XIIe). Sur les réseaux sociaux, les photographies des deux défunts souriants sont partagées en hommage. Pour les agents RATP qui continuent de travailler, leurs visages viennent rappeler que «l'épidémie doit être prise au sérieux». Et beaucoup accusent la direction de ne pas faire le nécessaire. «Là, les collègues sont tous très affectés, on arrive dans une situation où il y a des morts. On peut tous être en contact avec le virus au boulot, il y a énormément d'inquiétude», explique François-Xavier Arouls, du syndicat Solidaires RATP. Pour lui, la protection des agents n'est pas encore totalement assurée. «On est dans une situation où il nous faudrait énormément de mesures de protection. Le nettoyage des bus n'est pas assuré correctement, ce n'est pas désinfecté, on nous donne des petites lingettes qui nous permettent juste de faire ça comme on peut», regrette-t-il. «Tous les jours, on va travailler avec le risque de tomber malade, on nous fait des beaux discours, mais on ne nous donne pas les moyens de nous protéger. A ce jour, on n'a pas de gants, pas de masques», ajoute de son côté Didier Dorzile. Au dépôt d'Aubervilliers, premier endeuillé, face au manque de moyens on demande désormais l'aide de l'armée pour prendre le relais de la RATP et assurer le transport des usagers. «On nous explique qu'on est en guerre. Les premiers qui doivent être au front, c'est l'armée. Ils ont de cars, des camions, du matériel. Nous, on n'est pas équipés pour faire face à ça, on n'a pas de masques, on n'a rien», s'indigne Ulysse Champion, délégué Solidaires RATP du dépôt.
Renault : «Les salariés, c’est chez eux qu’ils doivent être»
A Cléon, en Normandie, l'usine Renault est à l'arrêt depuis le 17 mars, à la suite d'une alerte pour «danger grave et imminent» déposé par les syndicats. Une mesure censée limiter le risque de contamination des 5 500 salariés du site. Pourtant, une semaine plus tard, ils ont appris le décès d'un technicien de l'usine, âgé de 56 ans. Après l'émotion, les syndicats ont reçu «de nombreuses questions» de la part des salariés. L'une d'elles revient avec insistance : «Beaucoup se demandent si l'on n'aurait pas dû fermer l'entreprise plus tôt», rapporte William Audoux, de la CGT Renault Cléon. Car à Cléon, peu de mesures avaient été prises sur le site avant la fermeture. S'il est difficile d'estimer précisément le nombre exact de malades du Covid-19 à défaut de tests, les syndicats ont dénombré au moins 23 personnes présentant des symptômes significatifs. «On a pris un gros risque», regrette le syndicaliste CGT. Pour l'heure, l'usine est toujours fermée, et seul le secteur des prototypes continue de tourner. La question des modalités de réouverture du site agite désormais les salariés. Du côté de la direction, qui n'a pas encore communiqué sur une potentielle réouverture de ses sites français à l'arrêt, on a tout intérêt à ce que l'activité reprenne dès que possible pour ne pas trop accuser le choc durant les mois à venir. «On continue de dire qu'au vu de la situation, les salariés, c'est chez eux qu'ils doivent être», insiste de son côté William Audoux.