«La mort à bord» : le titre de l'enquête diffusée par l'association Welfarm le 7 avril renseigne vite sur son contenu. On y voit des agneaux entassés dans des camions ayant parcouru des milliers de kilomètres. Certains arrivent blessés, d'autres sont déjà morts. «Des infractions ont été constatées par les enquêteurs de l'association Animal Welfare Foundation dans tous les camions arrivant en Italie», résume Pauline di Nicolantonio, chargée de campagnes à Welfarm. «Dans ces convois se côtoient des agneaux sevrés et non sevrés, ce qui est interdit. Les bétaillères ne sont pas adaptées aux plus petits agneaux qui ne parviennent pas à boire ni à s'alimenter. Certains se coincent les pattes ou la tête dans les barres de fer…» Trois millions d'agneaux seraient ainsi transportés chaque année à travers l'Europe. A elle seule, la France en exporte environ 370 000 et en importe près de 185 000. Au total, plus de la moitié de la viande ovine consommée en France vient de l'étranger. Et les conditions de transport sont désormais aggravées par le Covid-19. «L'Europe a pris des mesures pour faciliter la circulation des animaux en cette période d'épidémie, ce qui entraîne un assouplissement des contrôles et ouvre la porte à de nombreuses dérives», explique Pauline di Nicolantonio.
«Co-produit»
Les fêtes de Pâques représentent un pic de consommation pour la viande d'agneaux, mais aussi de chevreaux. Eux sont considérés comme un «co-produit», voire un «sous-produit» de l'industrie laitière. Les chèvres sont en effet élevées pour leur lait. Or pour donner du lait, elles doivent avoir des petits. Mais d'un point de vue économique, ces chevreaux (surtout les mâles) ne valent pas grand-chose : à l'âge de 4 ou 5 jours, ils sont généralement vendus à bas prix (de 3 à 12 €) à des ateliers d'engraissement puis abattus à 5 semaines. Dans cette filière très peu rentable, des chevreaux seraient même tués au sein des exploitations. La filière caprine reconnaît d'ailleurs le «manque d'intérêt des éleveurs pour le chevreau naissant du fait de sa faible valeur économique», et estime que 14 à 18 % des chevreaux partent directement à l'équarrissage. Par ailleurs, Welfarm estime que 60 % des chèvres sont élevées en claustration intégrale. Aucun accès à l'extérieur non plus pour l'agneau dit «de bergerie» : seul le label bio garantit que l'animal a pu gambader dehors.
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Face à ces considérations éthiques, les éleveurs pointent leurs difficultés économiques. Selon eux, la crise du Covid-19 ne pouvait plus mal tomber, en plein pic de Pâques : car chacun chez soi, c'est l'adieu aux grands repas de famille. «L'Italie a annulé de nombreuses précommandes de chevreaux à cause du confinement, explique Franck Moreau, secrétaire général de la Fédération nationale des éleveurs de chèvres. Nous avons quand même décidé d'abattre tous nos chevreaux ; 600 à 700 tonnes de viande sont congelées dans l'attente de débouchés ultérieurs.» Côté agneaux, le déséquilibre entre l'offre et la demande aurait différé le départ vers l'abattoir de 500 000 animaux. Michelle Baudouin, présidente de la Fédération nationale ovine, résumait ainsi la situation dans les colonnes de Sud Ouest : «Ils prennent du poids, ils prennent du gras, et perdent de la valeur. On jette les fraises ou les asperges excédentaires, mais nos animaux, que va-t-on en faire ?» Les laisser vivre, peut-être ?