Deux heures du matin. Boulogne-sur-Mer (Pas-de-Calais) est étrangement immobile. Le plus gros port de pêche français ne tourne qu'à un quart de son activité normale en ce début avril. Et encore, il faut s'estimer heureux : il se relève doucement mais sûrement de la semaine horribilis du 16 mars, «la semaine du corona», celle de l'annonce du confinement général comme disent les mareyeurs entre eux. Ces grossistes de la mer, les acteurs de la criée (la Bourse où se décident les cours du poisson), se souviendront longtemps du massacre : la fermeture des restaurants le samedi à minuit, puis des cantines le lundi, la liquidation des stocks à tout va, les prix qui s'effondrent. Et soudain, la fin des sorties en mer. Cela ne valait plus la fatigue et le danger, les ventes ne suffisaient plus à couvrir les frais, gasoil du bateau et salaires. Le krach, comme à Wall Street.
Devant les hangars de la Coopérative maritime étaploise (CME), un rideau de fer ouvert, et une lumière. Jonathan fait signe de le rejoindre. Il est agent de quai. Il débarque et compte les cargaisons de poissons pour la vente à la criée, seul. En temps normal, ils sont cinq employés. Jonathan virevolte dans les hangars presque déserts au volant de son chariot élévateur. Là, des saint-jacques fraîches baillent dans l'espoir de la marée. Ici, des bulots empaquetés en masse dans des sacs en maille. C'est la pêche des quelques coquilliers et bulotiers sortis dans la journée. Jonathan craint plus le chômage tec