Jean-Paul Mari suit au jour le jour le combat d’une équipe médicale dans un hôpital d’Ile-de-France.
Les cloches de Pâques n'ont pas sonné le glas, la deuxième vague redoutée n'a pas eu lieu, l'hôpital souffle. Les soignants les plus éprouvés se sont accordé un ou deux jours de repos. Pas René (1). Lui ne quitterait son poste pour rien au monde. Il n'est pas médecin, seulement bénévole. Un costaud aux yeux bleus affecté à la logistique. René a passé vingt ans chez les pompiers de Paris, la vie en alerte et une femme à qui on laisse des petits papiers sur la table du petit déjeuner. «Sapeur-pompier, c'est le plus dur. Mais si on me le proposait, j'y retournerais en courant.»
A 37 ans, le sergent est déclaré trop vieux pour le feu. Il se retrouve exclu, endeuillé de sa «famille». Il reprend alors le métier pour Air France à Paris-Charles de Gaulle. Son DRH s'inquiète : «Vingt-quatre heures de garde d'affilée pour quatre-vingt-seize heures de repos, vous tiendrez ?» Il éclate de rire : «Chez les pompiers, c'est soixante-douze heures de garde pour vingt-quatre heures de repos.» Au programme : prévention, instruction et secours. Un jour, on l'appelle pour une fuite de kérosène sur un Boeing 777 : «Ça coulait comme un torrent ! Près de 100 tonnes de carburant, 1 cm de hauteur sur 400 m2, de quoi faire sauter tout le hangar.» Un tapis de mousse et une nuit de travail, la catastrophe est évitée.
Quand le Covid paralyse les airs, René erre sur une planète inconnue au milieu des avions dans un aéroport désert. Les temps sont tristes. Il perd son père de 91 ans, mort d'Alzeimer, dans un Ehpad de Narbonne. Confinement oblige, il n'a pas le droit de revoir son visage. Les larmes lui montent encore aux yeux : «L'infirmière m'a dit : "Oh, vous me faites trop de peine. Tant pis ! Allez l'embrasser."» René a une dette envers les blouses blanches. Elles ont aussi sauvé sa deuxième fille de 33 ans, qui vivait seule avec son bébé, lorsqu'elle a attrapé le Covid.
René, en bon soldat strictement confiné, installe une salle de musculation dans son pavillon de banlieue. Bouillonnant face à son inutilité, il envoie demande sur demande à l'hôpital pour se rendre utile, contacte un praticien rencontré à Air France. Le voilà - enfin ! - nommé à la logistique du Samu : «C'était le 1er avril, ma fille a cru à une blague.»
Beaucoup d'absents (malades), une équipe sur les rotules : on manque de bras. Dans l'urgence, plus de différence entre les cadres et les autres, tout le monde s'y met, se tutoie. Seule compte la «mission», dans le même esprit que les pompiers : «Je suis passé du rouge au blanc mais j'ai retrouvé une deuxième famille.»
Ses proches s'inquiètent : «A près de 60 ans… fais gaffe quand même !» Il passe la main dans ses cheveux blancs : «Je sais.» Et confie : «Je ne demande qu'une seule faveur, être à mon poste le 19 avril, jour de mon anniversaire.»
(1) Les noms ont été modifiés