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Économie

Restauration et tourisme : face à la «catastrophe», une annulation de charges sinon rien

Totalement à l'arrêt depuis le début du confinement, les deux secteurs réclament une année blanche sociale et fiscale pour faire face à la crise et la mise en place d'un fonds de solidarité spécialement dédié. Le plan d'urgence annoncé lundi par Macron doit être discuté en fin de semaine à Bercy.
Le bistrot Le Chat Bossu, à Paris. (Roberto Frankenberg/Photo Roberto Frankenberg)
publié le 14 avril 2020 à 20h10

De tous les secteurs, c'est le plus touché par l'arrêt brutal de l'économie consécutif à la mise en place du confinement. Depuis la mi-mars, le tourisme, l'hôtellerie et la restauration accusent une perte de quasiment 100% de leur chiffre d'affaires, le tout sans aucune perspective de redémarrage à ce stade. «Le président de la République a annoncé le pire des scénarios possibles pour notre secteur, a réagi l'Union des métiers et des industries de l'hôtellerie (Umih), la principale organisation professionnelle du secteur. La catastrophe économique est confirmée et si nous avions un doute, l'année 2020 est une année perdue pour les cafés, hôtels, restaurants et discothèques», souligne l'Umih.

Pour son vice-président, Hervé Becam, le risque est désormais de voir disparaître 30 à 40% des commerces du secteur dans les prochains mois, qui sont dans leur immense majorité indépendants. D’après une enquête réalisée depuis le début du confinement par l’Umih auprès de ses adhérents, seuls 7,5% des établissements restent à ce jour encore partiellement ouverts. C’est le cas soit pour la vente à emporter ou en livraison, pratiquée par moins de 4% des restaurateurs, soit pour des hébergements d’urgence de soignants, routiers et d’un résidu de clientèle d’affaires pour les hôtels.

Seule (maigre) consolation, l'annonce par le président de la République, lundi soir, d'un plan de sauvetage spécifique incluant le monde de l'événementiel, qui a été accueillie avec soulagement. Ce qui n'empêche pas l'Umih de regretter au passage d'être l'un des seuls secteurs (avec le monde de la culture et du spectacle) «sans effet d'horizon».

Sans réservations ou presque

Ce plan doit être discuté à partir de jeudi ou vendredi par visioconférence avec le ministère de l'Economie. «Nous y travaillons déjà» affirme l'Umih, qui a salué la «porte ouverte» du Président à des «annulations totales des charges» de la restauration qui «s'expliquent aisément par les zéro recettes du secteur. C'est notre principale demande», explique Hervé Becam, qui réclame une année blanche sociale et fiscale.

Estimant la perte des hôtels, restaurants et cafés à 6 milliards d'euros par mois, soit 65% du chiffre d'affaires généré par l'ensemble du secteur touristique, l'Umih insiste sur le fait que ce ne sont pas les 1 500 euros octroyés chaque mois pour les PME accusant un recul de plus de 50% de leur chiffre d'affaires, ni les prêts garantis par la Banque publique d'investissement (BPI), qui vont suffire à sauver les cafetiers et restaurateurs indépendants. «Beaucoup de nos entreprises n'ont pas droit au chômage partiel et les prêts bancaires ne sont que des avances qui devront être remboursées un jour», poursuit Becam. Par ailleurs gérant d'un hôtel-restaurant près de Brest, il se retrouve sans réservations ou presque. «La plupart ont déjà été annulées et on voit bien que c'est toute la saison estivale qui risque de passer à la trappe, d'où la nécessité de prolonger bien au-delà de quelques mois ces annulations de charges.»

Outre cette automaticité sur une longue durée, le secteur verrait d'un bon œil la mise en place en urgence d'un fonds de solidarité spécifique. Et réclame, enfin, une plus grande solidarité des assureurs, dont la contribution va passer de 200 à 400 millions d'euros. «Nous pensons légitime de pouvoir obtenir une remise sur les primes à hauteur de 500 millions d'euros», plaide Hervé Becam qui espère qu'avec l'aide du gouvernement, «le monde des assurances va enfin être aux côtés des entreprises».

10 à 11 milliards de pertes pour le tourisme

En charge du tourisme, le secrétaire d'Etat auprès du ministre de l'Europe et des Affaires étrangères, Jean-Baptiste Lemoyne, a chiffré mardi à «10 à 11 milliards» les pertes globales du secteur, précisant qu'à ce jour, «1,2 milliard de prêts garantis par l'Etat avaient été distribués». Cela représente 11,45% des 11 milliards déjà accordés au total sous l'égide de la BPI. Vice-président du Ceto, le syndicat des tours opérateurs, le PDG du groupe Voyageurs du monde, Jean-François Rial, un des leaders français du secteur, rappelle qu'avec l'aide de Bercy un système d'avoirs valables dix-huit mois a déjà permis d'éviter d'avoir à rembourser les clients. «Mais le report des voyages nous donne beaucoup de travail, témoigne-t-il, chez Voyageurs du monde, 50% de nos conseillers ne sont pas au chômage partiel et travaillent encore, pour zéro de chiffre d'affaires.»

Le vice-président du Ceto réclame lui aussi une exonération automatique des charges, ainsi qu'une aide spécifique sur les loyers. «Il faut que les bailleurs acceptent le paiement de montants très réduits pour ceux qui peuvent encore payer et au minimum un report très lointain pour les autres, dit-il. On est aujourd'hui comme dans un redressement judiciaire virtuel et cette question est un vrai problème, pas encore résolu.»

Il suggère enfin une autre mesure qui pourrait s'étendre à toutes les entreprises en difficulté, bien au-delà du tourisme : le report du paiement des impôts sur les bénéfices au titre de l'année écoulée, alors que Bercy vient d'annoncer un recul attendu de l'ordre de 43 milliards des recettes fiscales, à commencer par la TVA, en chute libre avec l'effondrement de la consommation. «Plutôt que de payer l'impôt sur les bénéfices de 2019, on pourrait le repousser en ne taxant que l'an prochain le cumul des profits pour 2019-2020, conclut-il. Un report qui aiderait quantité d'entreprises à passer le cap très difficile qui les attend.»