A Valenciennes (Nord), le Covid-19 n'est pas une vague, mais une marée montante, lente et puissante. «On est toujours en croissance», confirme Rodolphe Bourret, le directeur général du centre hospitalier, avec 20% de patients Covid en plus par rapport à la semaine précédente. Mais, rassure-t-il, «pour l'instant, nous absorbons l'impact». Ce jour-là de la semaine pascale, dans le service de réanimation, il ne reste qu'une place mais deux sorties sont prévues : bonne nouvelle.
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Pour le premier patient guéri, toute l'équipe a attendu dans le couloir pour lui dire au revoir. Déjà, un nouveau malade arrive. Il a dans la cinquantaine, tire machinalement sur son t-shirt pour cacher un bout de ventre, mais sa nuit va sans doute s'annoncer difficile. Océane Boutelier, l'une des infirmières, connaît le scénario : «Je n'ai pas beaucoup de chance de le retrouver demain en Glasgow 15 [parfaitement conscient, ndlr]. Je le dis aux patients, tant pis si c'est dur, passez un coup de fil à qui vous voulez, mais passez un coup de fil.» Dans une des chambres voisines, un monsieur âgé va mieux. Pour compenser l'absence de ses proches, il y a des photos souriantes. «Sa famille lui écrit tous les jours», raconte Marine Bauloy, aide-soignante, qui lui lit les mails. «Ils lui disent "t'inquiète pas, on s'occupe de maman".»
Importance vitale
Au bureau d'Emilie Herbez, cadre de santé du service de réanimation, le téléphone sonne toutes les dix minutes, ou sinon on frappe à sa porte. Les ASH, auxiliaires de service hospitalier, voudraient un deuxième chariot de ménage, et un balai en plus. C'est d'une importance vitale. Chaque chambre libérée doit être nettoyée trois fois, les aides-soignantes sont penchées sur le lit médicalisé et ses recoins, gant éponge à la main. «Ça serait top, un Kärcher !» lancent-elles, à moitié sérieuses, à Herbez. Elisa Lecerf, une des ASH, a «les mains détruites» à force de les laver. «La semaine dernière, j'avais carrément du pus qui sortait, j'ai mis de la crème et des bandes, et j'ai porté des gants toute la journée», explique-t-elle. S'arrêter ? Impensable. «Si on n'est pas là pour les aides-soignantes, que se passe-t-il ? On ramasse les poubelles et les sacs de linge dans le couloir de réa, on approvisionne en masques, blouses, surblouses.» Elisa Lecerf a 22 ans, elle vient d'arriver en réa, n'a pas encore eu sa première paye – 1 400 euros, lui ont dit des collègues.
Photo Albert Facelly pour Libération
Encore des demandes pour Emilie Herbez. Il faudrait trouver d'autres sortes de coussins, pour soutenir un monsieur placé sur le ventre, une posture qui l'aide à mieux respirer. Là, ils sont trop mous, pour son poids. Emilie note. C'est l'heure du point planning, un vrai casse-tête : «Normalement, j'ai une équipe qui compte 40 infirmières. Là, j'en ai 100», sourit-elle. Le service de réanimation est passé de 20 à 32 places, en dix jours. Il faut former en urgence les renforts venus d'autres services, et les gérer. Il y a quelques couacs, un patient qui doit aller au scanner et l'info n'est pas passée, mais c'est tout. Toc-toc à la porte, le gros carton est un cadeau d'un restaurant, avec petits plats pour les soignants. «Ça leur met du baume au cœur», affirme la cadre, qui se contentera de trois biscottes avalées vite fait à 14h45.
«Sur la longueur»
Le soir, elle s'écroule sur son lit, épuisée. Trois semaines qu'elle n'a pas eu ses enfants, qui sont chez leur père, par crainte de la contagion. «C'est un choix, mais c'est un sacrifice», dit-elle. Marine Bauloy a dû rassurer son mari : «Il avait peur au début que je ne sois pas bien protégée. Mais les cadres avaient beaucoup anticipé, et on avait le matériel, masques, lunettes.» Le pôle urgences réanimations anesthésie a eu en effet le temps de se préparer à l'épidémie, mis en alerte par la proximité du premier cluster à Creil, dans l'Oise. Dès le 24 février, un accueil dédié au Covid a été créé aux urgences, et des groupes de réflexion créés.
«Notre premier patient suspect est arrivé deux semaines et demie plus tard, le 12 mars», se souvient Emilie Herbez. Ce délai a pu être mis à profit, pour imaginer et appliquer des scénarios de crise. «Les plans blancs sont plutôt orientés sur la traumatologie, des usines qui explosent ou des attentats terroristes», explique Nabil El Beki, responsable du pôle. «Mais ce sont des risques localisés.» Antoine Maisonneuve, le chef des urgences, complète : «Ce que prévoient les plans blancs, c'est une montée en charge brutale avec une descente rapide, entre quelques heures et quelques jours. Une épidémie dure quelques semaines, voire quelques mois, il faut gérer sur la longueur.» Tous le savent, rien n'est encore gagné. Un infirmier le dit cash : «Le dimanche de beau temps, on va le voir venir en fin de semaine en réa.»