Antonin Crenn, 32 ans, est écrivain. Le 17 mars, jour du début du confinement, il était depuis une semaine en résidence à Montauban, une ville qu’il ne connaissait pas. Il a choisi d’y rester.
«Quand les mesures de confinement ont été annoncées, je n’étais pas chez moi. Je suis écrivain, je vis à Paris, et je venais d’arriver à Montauban pour une résidence : pendant un mois, je devais rencontrer des gens et animer des ateliers d’écriture. Le confinement, ça voulait donc dire vivre dans un appartement qui n’est pas le mien, sans voir personne ni parcourir la ville : le projet devenait absurde. Mais je suis resté quand même, par peur de me sentir nul si je renonçais. Et aussi parce que je suis payé pour ce travail, et que ce n’est pas facile de trouver des revenus quand on est auteur.
«Tous les jours, je me suis demandé ce que je faisais là. Incapable de me concentrer sur le roman que j'aurais voulu commencer, j'ai tenu mon journal. Quand je ne fais rien, je fais au moins ça. J'ai essayé de travailler sur Montauban, pour justifier ma présence : faire comme si ça avait un sens malgré tout. Mais Montauban, c'était une ville que je pouvais voir seulement de ma fenêtre.
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«Alors j'ai découvert le télétravail, comme beaucoup. J'ai toujours eu une fascination pour les plans de ville, sur papier : je passe des heures à me promener dedans. Grâce au confinement, j'ai redécouvert Street View, qui ne m'intéresse pas autant que ces plans dessinés, parce qu'il ressemble trop à la réalité. Mais là, n'ayant plus accès à la réalité, je me suis engouffré dans ce palliatif. Je me suis promené dans ce temps suspendu, réaliste et à la fois irréel. Des gens de Montauban rencontrés sur les réseaux sociaux me racontaient des détails de leur vie, des souvenirs. J'allais ensuite sur Google pour voir les lieux qu'ils citaient. Par exemple, j'ai découvert sur mon écran une ruelle qui longe le lycée Michelet. Les corps des lycéens réunis, traînant devant le lycée comme tous les ados, figés par la Google Car, et leurs visages floutés, m'ont ému : un rassemblement humain, impossible par les temps qui courent ! Comme cet endroit n'était pas loin de mon lieu de résidence, j'ai été le voir in real life, attestation en poche : c'était désert, c'était triste. Ces jeunes gens vus sur Street View sont devenus les personnages d'une nouvelle. J'ai donc écrit des histoires sur des lieux que je ne connais pas, peuplés de fantômes.
«Je viens de rentrer à Paris, comme prévu. Je découvre donc ce bouleversement de la vie quotidienne que tout le monde connaissait déjà, retrouvant mon amoureux et notre petit appartement. J’essaie de poursuivre le travail initié à Montauban. Là-bas, il était déjà absurde : alors, le poursuivre ici, finalement, ce n’est pas pire.»