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Histoire

Covid sur le «Charles-de-Gaulle» : la légèreté de la marine en question

Alors qu’un tiers des marins embarqués sur le porte-avions ont été testés positifs, les témoignages critiquant les décisions de la hiérarchie militaire se multiplient.
A bord du «Charles-de-Gaulle» le 8 avril. Photo fournie par la Marine nationale. (Photo Y. Bisson. Marine nationale via AP)
publié le 16 avril 2020 à 20h31

La situation paraissait suffisamment grave pour justifier d'interrompre la mission. Le Charles-de-Gaulle, seul porte-avions de la marine nationale française, a écourté la semaine dernière la fin de son déploiement, alors qu'il se trouvait en Atlantique, à cause d'un début d'épidémie de Covid-19 à son bord. Une quarantaine de cas étaient alors officiellement recensés et placés à l'isolement à l'avant du bateau, selon la marine.

Une semaine plus tard, l’ampleur n’est plus du tout la même : sur les 1 767 marins testés sur le porte-avions et l’un des bâtiments assurant son escorte, 668 sont positifs. Environ un tiers des résultats n’étaient pas encore annoncés jeudi en fin de journée. L’état d’une petite trentaine de malades (28, mais le chiffre a fluctué toute la journée, selon la marine) justifiait leur prise en charge à l’hôpital d’instruction des armées Sainte-Anne de Toulon. Un seul était en réanimation, dans un état jugé stable.

«Colère». La marine n'explique pas comment l'épidémie a pu se diffuser à bord. Seule certitude : la dernière escale du porte-avions remonte à mi-mars, à Brest. Cinquante-deux marins avaient alors rejoint l'équipage. Des restrictions sont imposées : les familles ne peuvent pas monter à bord, annulant de fait la traditionnelle sortie en mer ; les marins qui descendent sont priés de respecter les gestes barrières et d'éviter tout rassemblement de plus de 100 personnes, de toute façon déjà interdits en France. Certains rejoignent leur famille à terre, avec la consigne de rester confinés.

Le patient zéro du Charles-de-Gaulle est-il l'un de ces permissionnaires revenus sur le navire amiral de la marine au moment où la France décrète le confinement généralisé ? Un membre de l'équipage affirme le contraire. Selon son témoignage diffusé par France Bleu Azur, des marins présentaient déjà des symptômes au moment de l'escale à Brest. La situation était suffisamment préoccupante pour que le commandement propose d'interrompre la mission et de confiner l'équipage. Proposition qui aurait été rejetée par le ministère des Armées, affirme sous couvert d'anonymat ce marin. «En colère», il accuse l'armée d'avoir «joué avec notre santé, notre vie». Le proche d'un marin a de son côté raconté à Mediapart que les personnes présentant des symptômes n'étaient pas toujours confinées sur le bateau, évoquant deux cas précis.

Jeudi, le médecin référent pour la force d’action navale, Laurent-Melchior Martinez, a assuré lors d’un point presse que le service de santé des armées n’avait pas eu connaissance de cas présentant des symptômes du Covid-19 lors de l’escale à Brest. Selon nos informations, l’équipe médicale à bord avait recommandé de ne pas faire cette escale pour éviter toute contamination. Sans obtenir gain de cause, donc.

Dès la semaine dernière, l'armée s'était défendue de toute «erreur d'appréciation» dans la gestion de cette crise dans la crise. Le chef d'état-major de la marine, l'amiral Christophe Prazuck, a néanmoins ordonné une enquête de commandement afin de reconstituer les événements et d'en tirer toutes les leçons. Celle-ci sera réalisée par une commission ad hoc, comprenant au moins un médecin militaire, et sera pilotée par l'inspection générale de la marine nationale. Elle s'adossera aux investigations épidémiologiques menées en parallèle par le service de santé des armées. La ministre des Armées, Florence Parly, peut, si elle le souhaite, demander une autre enquête, totalement indépendante de la marine, au contrôle général des armées, placé sous son autorité directe.

Précipité. Florence Parly sera auditionnée ce vendredi après-midi par les députés de la commission de la défense. Lors de sa précédente intervention devant des parlementaires, au Sénat en fin de semaine dernière, elle avait indiqué que 369 cas étaient confirmés par tests, 867 étaient déclarés et 3 800 jugés «probables et possibles» dans les armées. «Est-ce que le Covid-19 change nos plans et nos opérations ? Oui, parfois. Mais est-ce qu'il nous dévie de nos objectifs ? Non», avait claironné la minsitre des Armées. Outre la mission raccourcie du Charles-de-Gaulle, le coronavirus a motivé le retour précipité des militaires français formant leurs homologues en Irak, sur fond de tensions accrues entre l'Iran et les Etats-Unis dans le pays. Pour la principale opération française, Barkhane au Sahel, où les armées interviennent depuis 2014, les relèves pourraient être retardées d'un ou deux mois, prolongeant d'autant le mandat des militaires présents.