Protégée par son isolement géographique et par des mesures de confinement prises à temps, la Nouvelle-Calédonie semble avoir esquivé la pandémie de Covid-19. On n'y recense que 18 cas, tous des voyageurs infectés hors du territoire. Les quelque 3 000 tests pratiqués n'ont pas révélé de contamination autochtone. A compter de lundi, les mesures de confinement strict édictées par l'Etat et la collectivité territoriale le 23 mars vont donc être «adaptées», selon les mots de Thierry Santa, le chef du gouvernement local. «La question qui se pose n'est pas de savoir s'il faut maintenir le confinement strict ou reprendre notre vie comme si de rien n'était. Ce serait trop simple. En Nouvelle-Calédonie, nous savons bien que l'opposition binaire est toujours périlleuse», a-t-il prévenu jeudi, dans une allusion au clivage politique profond qui marque le pays depuis les événements des années 80.
Rentrée des classes lundi
En dépit de ces précautions oratoires, il y a bien du déconfinement dans l'air pour les 280 000 habitants de la Nouvelle-Calédonie. A compter du 20 avril, «il ne sera plus nécessaire de remplir une attestation, chacun pourra se déplacer librement en tout point du territoire», a annoncé ce jeudi le haut-commissaire de la République Laurent Prévost. Les restaurants et autres commerces ouvriront de nouveau normalement et les Calédoniens pourront retourner à leurs activités favorites, comme la plage, la pêche et la chasse, avec l'injonction à respecter les gestes barrières. Les trois cinémas du Caillou resteront en revanche fermés jusqu'à nouvel ordre, ainsi que les théâtres, les salles de concert ou les stades. De même, les liaisons aériennes avec l'étranger demeureront strictement limitées et les voyageurs entrants seront soumis à une quatorzaine.
La rentrée des classes aura lieu lundi comme prévu par le calendrier scolaire, mais les élèves suivront les cours en demi-classes, en alternance par périodes d'une semaine jusqu'à la fin du mois, afin de limiter le risque de contagion. Une décision qui suscite des avis partagés. «On est ravis que nos filles retournent à l'école de façon sécurisée, expliquent Olivier et Sylvie, fonctionnaire et mère au foyer. Mais on est conscients que ça sera compliqué pour les parents qui vont retourner travailler sans possibilités de garde.» Damien et Gustave, deux jeunes papas kanak du quartier populaire des Tours de Magenta, à Nouméa, sont méfiants. «Nous allons sûrement garder les gosses à la maison jusqu'en juin car on n'a pas confiance dans ce gouvernement qui fait n'importe quoi. Le dimanche de Pâques, on s'est pris 15 000 balles d'amende [130 euros, ndlr] pour non-respect du confinement alors qu'on était assis tranquilles en bas de l'immeuble», râlent-ils.
Refondation du modèle économique ?
En général, le déconfinement est vu avec appréhension dans le milieu coutumier et indépendantiste. «La communauté kanak est très marquée par le souvenir des maladies apportées par la colonisation, qui ont été dévastatrices, explique Samuel Ihage, sénateur coutumier de Lifou, la plus grande île de l'archipel des Loyauté. Il y a des peurs qui refont surface. Nous l'avons dit clairement au niveau du Sénat coutumier, nous ne sommes pas d'accord du tout avec ce déconfinement si rapide. Je doute que les gens renvoient leurs enfants à l'école tant que le port du masque ne sera pas obligatoire.» A Magenta, Lysiane et Rachel, deux copines mélanésiennes, la vingtaine, sont soulagées à l'annonce de la levée du confinement. «On est fatiguées de rester à la maison. Le virus ne nous inquiète pas trop, mais on cherche toutes les deux du travail dans le domaine sanitaire et social et vu la situation économique, c'est mal parti.»
L'économie est la plus grande inquiétude sur cette terre que le virus n'a fait qu'effleurer, mais où plus de 10 000 demandes de chômage partiel ont été déposées et où 62 % des entreprises déclarent avoir perdu au moins la moitié de leur chiffre d'affaires, selon une enquête pilotée par la CCI de Nouvelle-Calédonie. Le gouvernement local et l'Etat ont annoncé la mise en œuvre d'un plan de sauvegarde de l'économie. Une batterie de mesures de soutien aux entreprises et aux salariés : aides financières à titre gracieux, prêts garantis et reports de charges. Au-delà, le porte-parole du gouvernement local et chargé de l'économie, Christopher Gygès, a appelé à «la refondation d'un nouveau modèle économique, plus solidaire, plus environnemental et plus agile». Sur ce Caillou où l'industrie minière reste le grand moteur, et où prévaut encore «l'économie de comptoir» avec des prix en moyenne 73 % plus élevés qu'en Métropole pour l'alimentaire, la tâche risque d'être ardue.