Chaque lundi, retrouvez notre chronique «Roues cool», qui aborde le vélo comme moyen de déplacement, sans lion en peluche ni bob Cochonou.
Sacoche remplie à ras bord, Aurélien Lenfant pédale sur une avenue des Etats-Unis, une cité populaire du VIIIe arrondissement de Lyon. Les aliments qu'il transporte sont pour Joachim Dos Ramos, dont il a fait la connaissance une heure plus tôt. Aurélien Lenfant est l'un des 450 coursiers solidaires qui ravitaillent à domicile, depuis le 6 avril, des personnes fragiles de la métropole lyonnaise. Durant les trois premières semaines du confinement, Joachim Dos Ramos n'a pas osé sortir. Une fois sa réserve de médicaments épuisée, l'homme de 63 ans, diabétique, a dû se résoudre à aller à la pharmacie. Le marché du quartier a été suspendu et le supermarché le plus proche se trouve à 1 kilomètre à pied. Trop loin pour que le retraité vivant seul puisse ramener ses courses.
Quand le confinement a été annoncé, sa nièce, Angélique, qui habite à l'autre bout de l'agglomération, lui a apporté de quoi se nourrir quelques semaines. «Comme elle a été immobilisée un moment, ma voiture ne démarre plus, j'étais très inquiète», se désole la mère solo de deux enfants, bénéficiaire du RSA. Elle a repéré sur Internet la création des Coursiers solidaires et n'a pas hésité : «Je demande rarement de l'aide, mais là, la situation est tellement irréaliste…» En appelant la hotline, elle est tombée sur Priscillia Petitjean, à l'initiative du collectif à Lyon. Chroniqueuse sur Radio cyclo et contributrice du webzine Elles font du vélo, elle s'est inspirée du lancement, fin mars, des Coursiers solidaires à Annecy (Haute-Savoie).
«Autorisation parentale»
«Il y a un super terreau de cyclistes à Lyon, j'ai décidé de dupliquer le projet, j'avais envie de faire plus qu'applaudir à 20 heures à ma fenêtre», explique Priscillia Petitjean. La jeune femme a rapidement reçu l'appui de La Ville à vélo, une association de promotion des mobilités douces à Lyon qui compte 1 400 adhérents. Depuis, quatre personnes tiennent le standard des Coursiers solidaires et les demandes affluent. Un partenariat est envisagé avec la Croix-Rouge, afin d'acheminer des colis d'aide sur le palier de ses bénéficiaires.
Le principe des Coursiers solidaires est simple : une carte interactive met en relation les cyclistes bénévoles et les foyers demandeurs. Faute d'accès aux outils numériques, ils peuvent aussi passer par le standard pour récupérer le numéro d'un coursier proche de chez eux. «Dès qu'un volontaire s'inscrit, on lui détaille les mesures d'hygiène et les conseils de fonctionnement, détaille Priscillia Petitjean. Et nous faisons une réunion en ligne hebdomadaire pour former les nouveaux arrivants et répondre à leurs questions.» Les profils sont variés : des gens au chômage partiel ou en télétravail qui peuvent dégager quelques heures dans la semaine, des coursiers professionnels qui casent un aller-retour entre deux missions. «Il y a même une ado de 16 ans qui est arrivée avec une autorisation parentale, il y a vraiment la volonté de se rendre utile», s'émeut Priscilla Petitjean.
«Un chou gras, c’est-à-dire ?»
Pour régler les achats, le demandeur peut confier de la monnaie ou un chèque à son aidant. Joachim Dos Ramos n'a ni l'un ni l'autre quand Aurélien Lenfant se présente au pied de son immeuble. Alors c'est sa carte bleue et son code griffonné qu'il lui confie, dans un sac crocheté à une corde, depuis son balcon au premier étage. Le bénévole fait un point sur la liste : «Quelle marque le poulet ? Un chou gras, c'est-à-dire ?» Joachim Dos Ramos : «Ce n'est pas le chou-fleur ni le chou frisé, le chou gras, tu sais, c'est celui qui est vert et blanc, tout rond.» La leçon improvisée de maraîchage fait sourire Aurélien : «Ça ne repose que sur la confiance, ça me touche.»
Technicien environnement dans une collectivité territoriale, le quadra prête main-forte en télétravail, depuis le début du confinement, au centre communal d'action sociale de sa zone pour appeler les personnes isolées répertoriées sur le fichier canicule. «Une dame m'a dit : "Avant, il n'y avait plus de solidarité." Je suis convaincu qu'elle existe encore, peut-être différemment.» Cet inconditionnel vélotafeur apprécie aussi, avec les Coursiers solidaires, de «défendre l'idée d'un transport non-polluant». Végétarien depuis quelques années, Aurélien a hésité au supermarché devant les barquettes de poulet. «Je n'ai plus trop l'habitude d'en acheter, j'ai pris ce qui me semblait bien, j'espère que ce ne sera pas trop cher.» Pour les légumes, le cycliste récupère chaque semaine un panier de producteurs à bon prix. Il compte proposer son plan à Joachim Dos Ramos pour le prochain ravitaillement.
Et comme chaque semaine du printemps, retrouvez en vidéo la planche animée de Tronchet, extraite de son Petit traité de vélosophie à paraître fin mai aux éditions Delcourt.