Que reste-t-il vingt-quatre heures après une nuit où tout s’est figé ? Samedi, le bruit a couru qu’à dix bornes de Paris, un homme à moto avait perdu sa jambe, grièvement blessé par le geste d’un policier. Vers 22 heures, ce dernier aurait ouvert la portière de sa voiture pour arrêter le premier qui roulait à toute berzingue. Ce que sa hiérarchie dément avec force.
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Les faits les plus clairs : une chute violente, des cris atroces et une foule en colère à Villeneuve-la-Garenne, face à la caméra d'une station-service. Le nouveau coronavirus a pris une pause dans ce coin-ci méconnu des Hauts-de-Seine, traversé par le Tramway 1, reliant le 92 le moins huppé au 93 modeste. Des heures après, des patrouilles arpentaient encore le secteur vidé. L'une d'elles poursuivra deux jeunes à bécane dans l'obscurité.
La scène du choc était encore tachée d’une flaque de sang et le sol jonché d’un paquet de Pim’s et de sticks de sauces barbecue. Un poteau d’un métal lourd a cédé, racontant la violence de la collision. Mais il n’y aura pas d’amputation : le motard a été opéré de fractures, dont une ouverte.
Problématiques connexes et routinières
Twitter s’est rapidement chargé du S.A.V. D’un côté, la dénonciation de l’impunité des hommes en bleu, et de l’autre, les tenants du «il n’avait qu’à pas sortir, sans casque, un printemps de quarantaine, tout cela alors qu’il est père de famille». On touche ici à quelques problématiques connexes et routinières. Aux bruits de bécane, quand le jour n’est plus, qui peuvent rendre nerveux et insomniaques le locataire ou le proprio. A la police qui, lorsqu’elle se rate, possède un joker imparable : ses déviances sont jugées par les siens, ce qui conduit le plus souvent à rapetisser la faute et donc, à dispenser le linge sale d’une lessive. A chaque coup, les habitants de quartiers populaires se retrouvent dans l’étau.
Dimanche, à la nuit tombée, deux gamins à vélo se sont approchés du lieu de l’impact, portables à la main. Pélerinage étrange pour des minots. Ils sont apparus de derrière un mur, avec leur père. Parfois, des gens passent et se retournent vers la station-service. Comme ça, tout paraît simple : si le motard a foncé sur la police comme celle-ci le défend, la caméra le montrera. Et si c’est faux, que se passera-t-il ? Du sable couvre désormais ce qui reste de sang et une tache sur un trottoir laisse un doute planer : hémoglobine ou sauce barbecue – des sticks gisent encore par terre ?
Et que reste-t-il de la veille, alors ? Pas grand-chose de prime abord. Le poteau plié et cassé a disparu. A 22 heures, un bonhomme se balade sur les voies du tramway : il suspend une clé – comme un pendule – au-dessus des voies. Ivre. Ou bien malade, comme le suggère un voisin. Le confinement ne masque rien, c’est le contraire. Il dope les difficultés, de jour comme de nuit : depuis le début du confinement, quid des personnes psychologiquement atteintes et esseulées ?
Théo, Adama Traoré, Zied et Bouna
Sur Twitter, un syndicat de police a déroulé les antécédents judiciaires du motard, sous-entendant à peine que ce dernier, de toute façon, ne méritait pas mieux. Et sur les réseaux, des quidams exhument les archives. L’affaire Théo à Aulnay-sous-Bois, Adama Traoré à Beaumont, Zied et Bouna à Clichy-sous-Bois. Les gilets jaunes éborgnés ou tabassés qui questionnent, au-delà des banlieues, sur la thématique de la violence légitime trop rarement interrogée. A chaque coup, le bon flic se retrouve lui aussi dans l’étau.
A minuit, Villeneuve-la-Garenne s’est tristement illuminée. Des jeunes ont tiré des mortiers, des feux d’artifice et cramé poubelles et autos. En échange, ils ont reçu des grenades lacrymogènes. Ça a duré deux heures et des poussières. On était déjà lundi.