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Libération
Reportage

A Toyota Onnaing, c'est la chaîne qui redémarre

L'usine automobile située près de Valenciennes a rouvert ses portes ce mardi pour relancer la production de la Yaris à partir de jeudi. La direction a mis en place un protocole sanitaire strict, sans lever toutes les inquiétudes des salariés.
Des responsables d'équipes dans l'usine Toyota d'Onnaing. (Photo Aimée Thirion pour Libération)
par Stéphanie Maurice, envoyée spéciale à Onnaing
publié le 21 avril 2020 à 18h55

C'est une reprise à pas comptés, à l'usine Toyota d'Onnaing, près de Valenciennes (Nord). 500 salariés se sont présentés ce matin aux portes du site où est assemblée la petite Yaris, principalement des chefs d'équipe, qui prennent la mesure des changements de process à expliquer et à faire appliquer. Ils seront 1 200 jeudi, pour le redémarrage de la production. Soit une seule équipe au lieu des trois habituelles, qui se partagent les trois-huit. Mais les 4 500 salariés y passeront tous au fil des prochains jours, par rotation. Une obligation imposée par la direction, pour tester grandeur nature le protocole sanitaire imaginé. Elle veut faire œuvre de pédagogie auprès des ouvriers, pardon des «members», selon la terminologie maison, afin qu'ils s'adaptent à ces nouvelles conditions de travail.

Tout a été pensé, de la pause cigarette avec cendrier désormais individuel, à l'interdiction des distributeurs de café et de friandises, propices aux papotages et donc aux attroupements sans prudence. «Des irritants sociaux», remarque le vice-président du site, Jean-Christophe Deville, qu'il faut faire accepter.

Dans l’usine Toyota à Onnaing, mardi.

Photo Aimée Thirion pour Libération

Toyota Onnaing est la première usine du groupe à rouvrir en Europe, et elle est scrutée de près. D'habitude, elle produit 1 100 véhicules par jour, là, ce ne sera qu'une cinquantaine, en cette fin de semaine, pour cette phase de test. Mais les impératifs industriels sont bien là : «Nous sommes en plein dans l'arrivée d'un nouveau modèle de Yaris», rappelle Richard Szczygiel, délégué CFDT. Nous avons 35 000 Yaris de l'ancien modèle à livrer avant fin juin, avant de lancer la nouvelle production.» Eric Pecqueur, délégué CGT, y voit aussi l'obligation de liquider les stocks de pièces : «Toyota les a achetées, et elles sont sans aucune valeur si elles ne sont pas assemblées. C'est du capital immobilisé», signale-t-il. Il n'approuve pas ce redémarrage, et évoque «les réticences justifiées des travailleurs».

Un mètre, la distance obsessionnelle

Richard Szczygiel, de son côté, valide le choix d'une réouverture progressive. La commission santé, sécurité, et conditions de travail, à laquelle il participe, a pris deux jours pour passer en revue, en amont, tous les postes où la distance d'un mètre entre les travailleurs n'était pas respectée, et pour trouver des solutions adéquates. «Aujourd'hui, tout ce qui est important en matière sanitaire a été mis en place, et on voit qu'on est écoutés», affirme-t-il. Sur la chaîne de montages des portières, où les hommes se font face, des parois de plastique les séparent désormais. Elles sont opaques, dommage, ils ne se verront plus. Le responsable du service de maintenance s'en excuse presque : «On a fait avec ce qu'on a trouvé.» Les masques, obligatoires dans l'usine, en embêtent plus d'un, mais rassurent aussi. Ils sont complétés quand aucune autre solution n'a été trouvée par des visières comme celles utilisées dans les services hospitaliers. «Les salariés s'inquiétaient pas mal avant de reprendre le travail, mais le fait de passer par le poste de garde à l'entrée les rend plus confiants», note Richard Szczygiel.

Dans le sas de sécurité, des tentes sur le parking, le protocole y est strict : à l'arrivée, lavage des mains au gel hydroalcoolique, masque distribué à ajuster sur la bouche et le nez, à nouveau gel hydroalcoolique. Puis le garde de service tend un pistolet preneur de température vers le front. Un gars s'amuse à lever les bras en l'air, comme dans un western. A terme, la direction espère un autocontrôle, avec prise de la température chez soi. L'ambiance est plutôt détendue, mais les chaînes de production sont encore à l'arrêt. On balise le sol pour marquer les distances à respecter, on vérifie l'espacement des tables dans la salle de pause. Un mètre, un mètre, le chiffre est obsessionnel. «Notre vie, celle de tous les Français, va changer, et pas seulement pour quinze jours, remarque Sébastien Boulanger, "group leader" à la carrosserie. Nous devons nous approprier les nouveaux gestes pour nous sentir en sécurité.»