Sheila Marjorie Thomson, délicieuse Anglaise de 92 ans, vit seule dans sa maison dans le petit village de Pool-in-Wharfedale, dans le Yorkshire (nord de l’Angleterre). En 2014, le Tour de France, dont la première étape reliait Leeds à Harrogate, était passé dans les rues de cette bourgade de 2 200 habitants. Fanatique de bridge, Sheila, veuve depuis 2008, s’est adaptée au confinement. Elle répond au téléphone à l’ancienne, en répétant les derniers six chiffres de son numéro.
«Je ne sais pas si je suis la bonne personne pour raconter ma vie de confinée. Je suis très privilégiée. Je vis dans un coin ravissant du Yorkshire. Je travaille beaucoup dans mon jardin, qui est assez grand. Je suis en train de planter mon potager. Juste au-delà de mon jardin, il y a une voie ferrée désaffectée. Alors tous les jours, je marche le long des rails. J’aimerais bien être plus en forme, mais je marche environ un kilomètre aller-retour. Et puis, je passe beaucoup de temps à profiter de ce magnifique soleil, souvent avec un livre.
«En même temps, je me sens un peu coupable. Mes deux filles à Londres se démènent pour aider le National Health Service (NHS) en préparant des repas pour le personnel d’un hôpital et pour des personnes âgées. Moi, je n’ai que 92 ans, bientôt 93 et j’ai le sentiment de ne pas faire assez pour aider les autres.
«Je ne joue plus au tennis, sauf quand ma famille vient me rendre visite, mais je continue le golf. J’adore y jouer. Malheureusement, j’ai dû arrêter quand le club a fermé. D’habitude, je joue aussi au bridge trois fois par semaine avec mes amies. Elles sont nettement plus jeunes que moi, elles ont entre 70 et 80 ans. Au milieu des parties, on s’interrompt pour un "afternoon tea", avec des petits sandwichs, oui, parfois au concombre. C’est un formidable moyen de rester en contact avec ses amies sans pour autant avoir besoin d’organiser de grands dîners. Désormais, on continue à jouer, mais sur Internet. Du coup, on ne prend plus le thé. Le "book club" dont je suis membre fonctionne aussi toujours, par Internet. On lit un livre et ensuite on appelle pour échanger nos vues dessus.
«Je ne suis pas très versée sur la technique, en fait, j’ai même souvent envie de balancer mon Ipad par la fenêtre, mais mes filles ont une patience infinie avec mes questions idiotes au téléphone. Pour mes courses, j’ai une ancienne voisine qui me fait le plein chaque semaine.
«Je ne crois pas être très vaniteuse, mais curieusement, il y a trois choses qui me manquent terriblement : le coiffeur, le pédicure et la manucure. Quand on prend de l’âge, ce n’est jamais bon de se laisser aller.
«Ce qui me manque le plus, c’est le contact physique, le fait de pouvoir prendre quelqu’un dans mes bras, ça pèse… Et là, ce n’est pas possible, mes filles sont à Londres, mon fils aux Etats-Unis.
«Cette période me rappelle un peu la guerre. J’avais 12 ans quand la guerre a été déclarée, alors je m’en souviens bien. J’y ai perdu deux frères, tous les deux pilotes, et mon troisième frère a été handicapé à vie, il a perdu un œil et un doigt. Aujourd’hui, j’ai aussi le sentiment que c’est une forme de guerre, mais contre un virus et nous devons faire tout ce que nous pouvons pour en sortir. Ça me rappelle aussi la guerre parce que là encore, nous tous, tous les pays, on va devoir se reconstruire, tous ensemble. Comme après la guerre. On va en sortir, mais il y aura d’autres virus et, dans ce contexte, il est vraiment important de prendre soin de notre planète, c’est vraiment quelque chose qui me préoccupe beaucoup.»