Comment appréhende-t-on le passage au déconfinement ? Qu'a-t-on rencontré «pendant» que l'on tient à conserver «après» ? Libération a posé la question à…
Matthieu Banvillet, directeur du théâtre du Quartz, à Brest
«Depuis le début du confinement, je n’ai pas le temps de lire car le travail est massif. Il s’agit de reprogrammer entièrement une saison en tentant d’injecter les spectacles annulés dans tous les interstices. La saison qu’on est en train de fabriquer est si touffue qu’elle en devient folle. Ce tourbillon est à l’opposé de ce que la crise nous invite à penser. On est nombreux à être dans une contradiction intense.
«Quand le Covid est arrivé, la plupart d’entre nous avaient déjà commencé à transformer leurs pratiques. Par exemple, au Quartz, on récupère l’énergie des projecteurs et on la replace dans le circuit de chauffage. Avec la chorégraphe Latifa Laâbissi et le Théâtre National de Bretagne (TNB), on était convenu d’organiser une recyclerie collective de décors et costumes qu’on mutualiserait. La crise est venue à la fois balayer et conforter nos petites actions écologiques. Balayer parce qu’elles sont insuffisantes et anecdotiques si elles sont éparses. Si on n’appuie pas tous sur le frein en même temps, on est cuit. Ce changement en profondeur passe par une discussion avec les artistes à propos des tournées et l’usage de la technologie – écrans, projecteurs énergivores. Pour obtenir certaines subventions, une compagnie doit fournir des gages. Elle doit montrer qu’elle est appelée à se produire à l’internationale et localement. Dans le circuit chorégraphique, j’ai vu à quel point on était prêt à tout pour jouer un jour à New-York et la semaine d’après au Japon. Imaginer le jour d’après, c’est résister à cela. Ne plus accepter systématiquement les sollicitations aux quatre coins du monde, aussi séduisantes que sont les propositions.
«Ce déconfinement, je le vois comme une occasion de changer réellement nos pratiques. On n'a d'ailleurs pas le choix. Même si je sais bien qu'on va tous sortir rincés et très appauvris de la crise – et les compagnies encore plus que les institutions –, il est impossible de retourner au théâtre et reprendre nos dossiers là où on les a laissés. Par ailleurs, alors que la programmation a été conçue avant cette épidémie, je suis frappé à quel point nombre de spectacles résonneront avec ce moment. Je pense notamment au collectif Os'O. Dans X, d'après Alistair McDowall, un groupe d'astronautes perd le dialogue avec la terre car elle a cessé d'exister.»