La même gymnastique, depuis des semaines : s’adapter, sans cesse. Face à la crise du Covid-19, les professionnels du secteur de l’aide à domicile doivent rivaliser d’inventivité et pratiquer l’anticipation à haute dose, pour continuer d’assurer en toute sécurité leurs interventions auprès de quelque 750 000 personnes âgées dépendantes. Premier défi de taille : gérer la pénurie de masques. Car nonobstant des améliorations, les dotations de l’Etat demeurent chiches : neuf masques par semaine et par employé, quand ils interviennent pour le compte d’une structure, et trois par semaine s’ils sont salariés directement par un particulier.
Dons
«Ce n'est pas suffisant. Il nous en faudrait au total 300 000 par jour. On en reçoit la moitié», tranche Thierry d'Aboville, secrétaire général de l'Aide à domicile en milieu rural (ADMR), réseau associatif qui intervient auprès de 500 000 bénéficiaires à travers la France - personnes âgées, fragiles, isolées, sans proche aidant à proximité… «On se débrouille, mais c'est difficile, presque usant, de s'inquiéter sans cesse des moyens de protection. Il n'y a pas que les masques, il faut aussi penser aux surblouses, charlottes et lunettes pour les patients qui sortent d'une hospitalisation en raison du Covid-19», détaille-t-il.
Toutes les bonnes volontés sont mises à contribution : du «garagiste du coin qui avait des masques à disposition» aux PME, en passant par des masques périmés vestiges de la grippe H1N1. Mais le compte n'y est pas. Alors pour la première fois de son histoire, l'ADMR, 75 ans, s'est résolue à lancer un appel aux dons privés.
«Les personnes âgées et les intervenants à domicile sont restés trop longtemps sous les radars», fustige Pascal Champvert, président de l'Association des directeurs au service des personnes âgées (AD-PA). Pour lui, quand les conditions de sécurité ne sont pas réunies, il faut «suspendre les interventions». A l'en croire, c'est ce qui se produit déjà dans certains territoires, parfois à cause d'un manque de moyens ou de personnel : «La plupart des structures ont tout fait pour maintenir leur activité, mais certaines ne pouvaient pas faire autrement, notamment dans des zones rurales très isolées. Certaines personnes âgées ont aussi d'elles-mêmes demandé la suspension des services pour limiter les risques de contamination.»
«Dépressions»
En cas de difficulté à maintenir l'activité, le gouvernement préconise de donner la priorité aux «activités essentielles auprès des publics fragiles et isolés». A l'ADMR, les activités «de confort» (ménage, petit bricolage ou repassage) ont ainsi été suspendues pour garantir le maintien de l'aide «vitale» (toilette, coucher, livraison de repas…). Mais pour les bénéficiaires, la visite de l'aide à domicile, même pour du ménage, constitue souvent une occasion rare, si ce n'est unique, de nouer un contact humain essentiel en cette période anxiogène de confinement. «Il y a la santé physique, certes, mais il ne faut pas négliger le psychique», alerte Pascal Champvert, qui craint que l'isolement n'entraîne «des dépressions, voire des tentatives de suicide», et appelle à une assistance psychologique pour les seniors isolés.
«Le coronavirus est un révélateur de la manière intolérable dont la France s'occupe de ses aînés», s'insurge-t-il. Désormais, les professionnels de l'aide à domicile bataillent pour que leurs troupes fassent bel et bien partie des «publics prioritaires» qui devraient prochainement bénéficier de tests à grande échelle. Et commencent aussi à penser à l'après, quand la loi grand âge, promise par Emmanuel Macron depuis 2018 et sans cesse repoussée, verra enfin le jour. L'occasion, espèrent-ils, d'enfin revaloriser leurs métiers.