Saka, 32 ans, a quitté le Mali à l’âge de 13 ans. Avec un rêve: écrire un livre. Depuis le début du confinement, il se retrouve coincé chez un ami en Italie sans rien. Inquiet, il écrit.
«Je suis à Rome depuis deux mois, sans papiers. J’ai quitté la France le 24 février le temps d’un aller retour pour obtenir une réponse au sujet de ma demande de titre de séjour. J’étais parti pour cinq jours… Et m’y voilà encore. Les services de l'immigration m’ont dit d’attendre. Sans se préoccuper d’où j’allais dormir ou comment manger…. Tous les bureaux sont fermés depuis. Mais après le déconfinement, que vont-ils me dire? J’ai peur de devoir reprendre toutes mes démarches à zéro, comme à mon arrivée en Europe, en 2014.
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Heureusement, un ami m’héberge. J’ai beaucoup de chance, ça allège un peu ma situation. Mais c’est dur. Aucun de nous travaille. Lui était dans la restauration, tout s’est arrêté avec le confinement. Moi, je suis bijoutier, je fais des bagues et des bracelets africains que je vends autour de moi, mais là… On ne mange pas comme en temps normal. Une fois dans la journée seulement. Les fruits, bien sûr on n’en parle pas, ce n’est pas l’essentiel.
Je me suis mis à écrire, c’était mon rêve. Au début, je n’osais pas car je n’ai pas de compétence littéraire, mais une amie française m’a encouragé. Elle dit que ce n’est pas grave, que je peux quand même. Alors, j’écris sur mon téléphone. Je raconte ma vie. J’avais 13 ans quand je suis parti de chez moi, au Mali. J’ai d’abord voyagé beaucoup dans des pays d’Afrique: Côte d’ivoire, Gabon, Sénégal… Là-bas, le travail ne manque pas, mais tu gagnes juste de quoi te nourrir, sans jamais pouvoir faire des économies.
J’avais le projet de devenir écrivain. Je me disais qu'en Europe, je pourrais peut-être le réaliser. Alors je suis parti. En bateau avec d’autres comme moi. Cela a duré deux jours et une nuit. Assez vite, le moteur ne s’allumait plus. Quand plus rien ne répond, la pirogue part dans tous les sens. L’eau choisit la direction, mais tu ne vas nulle part. Nous n’aurions pas tenu longtemps. Heureusement, les gens qui cherchent les immigrés sur la mer nous ont sauvés. Nous sommes arrivés en Sicile dans un petit village, puis dans un centre d’hébergement pour demandeurs d’asile. C’est là que j’ai rencontré mon ami, chez qui je suis depuis deux mois.
Je dors sur un matelas par terre. L’écriture me soulage. J’ai écrit déjà beaucoup de mots. Bien sûr, il y en a certains à effacer, mais quand même, cela me donne du courage. Que je puisse écrire aujourd’hui alors que je n’ai pas été scolarisé enfant, c’est une grande chose pour moi. Quand je suis trop fatigué, j’écoute RFI ou je me couche plus tôt. Parfois, en dormant, je ne me crois plus dans la merde. Mais à mon réveil, les choses sont comme je les avais laissées.»