Menu
Libération
Interview

Reprise : «Les salariés doivent pouvoir avoir confiance dans leur environnement de travail»

Pour François Homméril, le président de la CFE-CGC, la reprise de l'activité économique doit impérativement passer par le dialogue social et un travail d'anticipation des entreprises.
A l'usine Renault de Flins-sur-Seine (Yvelines), en 2017. (ERIC PIERMONT/Photo Eric Piermont. AFP)
publié le 26 avril 2020 à 14h45

Pour François Hommeril, président de la CFE-CGC (le syndicat des cadres), la reprise des activités économiques doit passer par un travail d'anticipation des entreprises, associant les directions et les représentants syndicaux. Mais si le dialogue social est indispensable à court terme, il sera tout aussi déterminant dans la construction du «monde d'après».

Reprise des activités économiques et exigences de protection des salariés sont-elles compatibles ?

Oui, mais pas partout. Il y a une extrême granularité, chaque cas est particulier. Il ne peut y avoir de cadre général. Redémarrer une activité de chantier ou industrielle, une usine de 10, 100 ou 1 000 personnes, en région parisienne ou à la campagne, ça n’a rien à voir. D’où l’importance du dialogue social. Cette crise remet en perspective son efficacité, mais aussi celle des différents niveaux dans lequel il s’exerce, notamment celui de la branche.

Mais y a-t-il des conditions communes à tous les secteurs ?

Les salariés doivent pouvoir avoir confiance dans leur environnement de travail, c’est indispensable. Pour créer un climat de sécurité, les directions doivent mener une démarche en deux temps, en association avec les organisations syndicales – quand il y en a, et il n’y en a pas toujours, c’est bien le problème. D’abord une analyse concrète des conditions sanitaires, avec le responsable sécurité, les chefs d’atelier, de services, la médecine du travail… Puis un temps de formation des salariés aux nouvelles conditions de travail. Et cela doit s’accompagner d’une forme d’adhésion des élus du personnel.

Les entreprises ont-elles assez anticipé la reprise ?

Cela dépend de la diligence des directions. Certaines n’ont pas fait les efforts suffisants, avec l’exemple ultime d’Amazon. Ces cas existent, Mais dans les grandes entreprises, avec une forte représentation syndicale et une culture du dialogue social, les gens ont conscience de ce qu’il faut faire. Et savent faire. Le dialogue social, c’est aussi une question de compétences. Après, il faut également de la volonté…

Il y a donc un risque de disparités selon la taille des entreprises…

La situation ne fait que mettre en relief les inégalités existantes, selon leur taille ou leur position dans la chaîne de valeur. Cela joue sur les mesures mises en place pour rebondir après le confinement. Par exemple, s’il n’y a pas une forme de mutualisation ou d’aide pour fournir des masques, il y aura forcément des inégalités. Car si les grandes entreprises ont les moyens d’acheter des milliers de masques, une majorité de petites ne pourront pas le faire.

Le télétravail va être prolongé pour nombre de salariés. Est-il assez encadré ?

Ce que l’on a fait depuis six semaines, ce n’est pas du télétravail, c’est la continuation de l’activité à domicile, une organisation volontairement dégradée face à la crise. Le télétravail est codifié, ses conditions de mise en place sont précises. Se retrouver avec son ordinateur dans la cuisine, avec les enfants qui couinent, ce n’est pas du télétravail. Il ne faut pas oublier le cadre existant, surtout si demain cela donne l’occasion de développer de nouvelles activités en télétravail. Ses conséquences sociales doivent être abordées, en consultant les représentants du personnel.

Les attentes autour du dialogue social sont fortes. Mais peut-il être de qualité quand, au niveau national, le Medef martèle qu’il faudra «travailler plus» ?

On a un problème aujourd’hui : le rapport de force au niveau interprofessionnel a été trop déséquilibré. Le Medef n’est contraint à rien négocier, puisque soit il obtient ce qu’il veut du gouvernement, sans même discuter, soit il renvoie à l’entreprise où le déséquilibre est encore plus fort. Le Medef est toutefois revenu sur ce scénario de «travailler plus», qui est totalement hors sujet. La véritable problématique devant nous, c’est celle du chômage, des faillites d’entreprises… L’idée d’augmenter le temps de travail est microscopique à côté de ce que l’on va affronter et devoir inventer. Les salariés sont des adultes responsables, avec des crédits… Ils sont attachés à leur entreprise, bien plus que certains dirigeants, car c’est leur gagne-pain et leur mobilité n’est pas énorme. S’il y a des négociations honnêtes pour sécuriser l’avenir de leur entreprise, évidemment qu’ils y seront favorables.

Comment voyez-vous la suite ? Raymond Soubie, ancien conseiller social de Nicolas Sarkozy, prédit une «flambée sociale»…

Je ne fais aucun pronostic et je pense que ceux qui en font se trompent. Qui avait prévu les gilets jaunes, l’ampleur de la mobilisation contre la réforme des retraites ? Mais le magma est là, c’est sûr. Politiquement, les enjeux sont énormes. On ne peut pas repartir après tout ça, en poursuivant une politique d’austérité sur les salaires ou en continuant de réduire le nombre de lits d’hôpitaux. Si à l’occasion de la mise en place du monde d’après, la vision, les réflexes ne changent pas, alors oui, on peut craindre qu’une partie de la société bascule.