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Libération
Éditorial

Tournis

publié le 26 avril 2020 à 20h26

Contradictions, louvoiement, ordres et contre-ordres : on peut - on doit - se montrer critique envers le discours du gouvernement, qui donne le sentiment d'être sans cesse débordé par une épidémie insaisissable. Masques inutiles puis indispensables, tests dédaignés puis réclamés en urgence, déconfinement par région, puis national, puis par commune, écoles ouvertes ou fermées, déplacements interdits sauf quand ils sont autorisés : la liste des vraies-fausses annonces de ces derniers jours donne le tournis. Mais il faut aussi tenir compte du dilemme complexe, incertain, vertigineux à certains égards, qui se pose aux responsables, scientifiques, élus et, finalement, à chaque citoyen : choisir la santé à tout prix ou faire entrer dans l'équation les épreuves qu'un long confinement risque d'imposer à la société. Jusqu'à présent, la santé l'emporte, à juste titre. Il faut l'ubuesque irresponsabilité d'un Bolsonaro pour continuer de nier la dangerosité du virus et proclamer qu'il faut vite «revenir à la normale» : combien de morts au bout du compte et de scènes dantesques dans les hôpitaux brésiliens ? A l'inverse, qui peut passer sous silence les violentes conséquences de la récession déclenchée par l'enfermement obligatoire des trois quarts de la population ? Y compris sur le plan sanitaire. Le chômage, le désespoir économique, la précarité décuplée, la misère des laissés-pour-compte s'accompagnent de pathologies multiples et parfois mortelles. La santé doit l'emporter sur l'économie, dit-on. Certes. Mais une économie délabrée menace aussi la santé, entre autres calamités. Le gouvernement doit choisir, non entre la morale et la «realpolitik», mais entre deux risques, que scientifiques et économistes sont incapables d'évaluer avec certitude. Il faut trancher entre deux solutions dangereuses derrière un voile d'ignorance. La politique, dans ces circonstances, retrouve sa nature tragique.