Antoine Maisondieu, créateur de parfums
«Je découvre la lenteur, c’est fantastique ! Même les gens se parlent plus lentement. Evidemment, tout le monde s’aperçoit qu’il suffit de baisser la circulation pour que les odeurs du printemps envahissent les rues. En temps «normal» qui ne l’est pas plus qu’un autre, je force mes intuitions pour respecter les délais, alors que je préférerais les laisser macérer. Je lis beaucoup. Les récits et les mots ont des odeurs qui peuvent m’inspirer des parfums. Ce que je regrette avec les tablettes pourtant bien pratiques, c’est que contrairement à l’imprimé, elles ne sentent rien.
«Je continue les gros projets en cours, mais on travaille différemment. Les parfumeurs sont tributaires de la pesée en laboratoire. D’habitude, on note des idées de formules qu’on envoie au labo, puis on reçoit des échantillons, et on modifie la formule indéfiniment. Un parfum fruité qui manque de modernité - qui ne correspond pas au goût du jour- je l’aurais auparavant «modernisé» en essayant tous les fruits de la terre mélangés à tous les bois du monde. Avec le confinement, j’ai le droit à cinq essais maximum car il n’y a que deux laborantins pour effectuer toutes les pesées. D’un point de vue écologique et créatif, c’est intéressant. Ça nettoie la tête comme le ciel de Paris. Croire qu’il est utile de lancer énormément de parfums pour espérer qu’un seul soit pérenne me demander déjà énormément d’efforts.
«La machine s’est arrêtée, il n’y a aucune raison qu’elle ne reprenne pas pire qu’avant, mais j’essayerai de maintenir cette lenteur. A moins que la crise actuelle nous fasse saisir l’occasion de valoriser autre chose que le profit et l’efficacité qui éliminent l’intelligence et la beauté? Cela dit, je ne suis pas dupe des ravages économiques. Tous les jours, je photographie dans mon quartier, petits cafés, lieux d’expos et autres, car j’ai peur que leur fermeture soit définitive.»