Ce discours-là devrait battre des records d'audience. A 15 heures ce mardi, devant un hémicycle au trois quarts vide pour cause de distanciation sociale, le Premier ministre détaillera à l'Assemblée nationale son plan de déconfinement. Selon ses proches, il le fera en cultivant «la sobriété et l'humilité», dont il a fait ces dernières semaines sa marque de fabrique. L'attente est immense. Le défi colossal. Devant leurs écrans, les Français seront des millions à vouloir apprendre quand il leur sera de nouveau permis de sortir de chez eux sans cette extravagante «attestation de déplacement dérogatoire» qu'ils ont pris l'habitude de remplir depuis plus de six semaines. Paradoxalement, c'est au moment où sa parole est la plus attendue que le chef du gouvernement apparaît aussi le plus menacé. Dans un monde politique sidéré par l'ampleur de la crise, majorité et opposition confondues, personne n'imagine que Macron pourra, comme il a promis de le faire, «se réinventer» sans changer de fond en comble son casting d'avant-pandémie.
Exigences
En attendant, Philippe reste en première ligne. Lundi après-midi, il s'est rendu à l'Elysée pour convenir avec Emmanuel Macron des ultimes arbitrages. Il était accompagné de son ministre de la Santé, Olivier Véran, et du délégué interministériel au déconfinement, Jean Castex. Devant l'Assemblée, le Premier ministre détaillera ce mardi les décisions du gouvernement sur une demi-douzaine de sujets, tous controversés. Elus locaux, syndicats, organisations professionnelles : tous ont leurs questions et exigences sur la réouverture des écoles, des entreprises et des commerces, comme sur la reprise des transports collectifs.
Le chef du gouvernement se sait aussi très attendu sur la doctrine en matière de tests et de protections. Depuis le début de la crise, c'est sur la question des masques que se concentrent les critiques. Sur fond de pénurie mondiale, la mise en doute de leur utilité pour le grand public, formulée par plusieurs membres du gouvernement sur la base de certaines recommandations d'experts, a nourri le soupçon d'une tentative de manipulation de l'opinion pour cacher les défaillances dans l'approvisionnement. Au cours des dernières semaines, les avis des scientifiques ont évolué, tout comme les chiffres sur l'état des stocks et des capacités de production. On devrait donc savoir dans quelles circonstances (transports publics, écoles, commerces, etc.) le gouvernement considère que le port du masque devra être une recommandation ou une obligation.
«Co-construction»
Mais sur ce point comme sur beaucoup d'autres, il insistera devant les députés sur la nécessaire «co-construction» du plan national et de ses «déclinaisons territoriales». Ce sera tout l'enjeu de la visioconférence à laquelle sont invités mercredi les responsables des associations d'élus locaux et les partenaires sociaux.
Embarquer les élus municipaux, départementaux et régionaux dans cette entreprise ? Pour l'exécutif, c'est la clé du succès. «Le plan de déconfinement doit être celui de toute la nation», explique l'Elysée. «Embarquer» les exécutifs locaux, dirigés pour la plupart par l'opposition, pourrait aussi être un moyen d'approcher «l'union nationale» que Macron a vainement appelé de ses vœux dès son allocution du 16 mars. Le très expérimenté Dominique Bussereau, président (ex-LR) de l'Assemblée des départements de France, relativise cette portée politique : «En période de crise, il est normal que l'Etat et les collectivités se serrent les coudes.» Il attend que l'Etat «dégaine» son plan et juge indispensable que les arbitrages soient nationaux. C'est particulièrement vrai, selon lui, sur la question scolaire : «Certains maires sont pour l'ouverture des écoles, d'autres contre. C'est le sujet qui divise. S'il y avait encore des dîners en ville, on ne parlerait que de ça.»
Mais la «concorde» souhaitée par Macron reste encore très hypothétique. Lundi, les oppositions se sont insurgées contre la décision de faire approuver le plan de déconfinement par l'Assemblée ce mardi, immédiatement après sa présentation par le Premier ministre. Elles demandaient vingt-quatre heures de réflexion, ce qui leur a été refusé. Aussi utopique soit-elle, l'union sacrée n'en est pas moins souhaitable pour sortir de la crise aux yeux d'une large majorité de Français. Selon un sondage Ifop pour la Lettre de l'Expansion, 71 % des Français seraient favorables à la constitution d'un «gouvernement d'union nationale». Ce mardi, à l'Assemblée, il n'est pas garanti que les débats marqueront un progrès dans cette direction.