Recourir au «traçage» numérique pour freiner l'épidémie ? L'idée, discutée mardi à l'Assemblée avec l'ensemble de la stratégie de déconfinement, divise la majorité et rassemble les oppositions. Comme une partie des macronistes, droite et gauche ne sont guère allantes, voire franchement opposées au système - une application mobile permettant aux volontaires de savoir s'ils ont côtoyé des personnes infectées, ou de faire savoir qu'ils le sont. Partout jugé inefficace et intrusif, ce projet est en outre dénoncé comme une «diversion» politique de la part de l'exécutif, accusé de vouloir détourner l'attention du manque de masques et de tests. Et pour mieux marquer leur opposition au traçage, plusieurs responsables de l'opposition ont réclamé que celui-ci fasse l'objet d'un vote distinct des autres mesures de déconfinement - alors que l'exécutif n'a prévu qu'un seul scrutin pour l'ensemble d'entre elles.
«Je suis extrêmement réservé, a déclaré le président de LR, Christian Jacob, dimanche sur RTL. Je pense que l'urgence, aujourd'hui, objectivement, ce sont les masques et les tests […] La Cnil [Commission nationale de l'informatique et des libertés, ndlr] soulève tous les risques qu'il peut y avoir, les risques d'accoutumance et d'utilisation à des fins que personne ne souhaite.» Le président des députés LR, Damien Abad, s'était auparavant, lui, déclaré favorable au principe du traçage. Mais il comptait, en cas de vote séparé sur la question, laisser aux membres de son groupe la liberté de leur vote sur cet enjeu de «libertés publiques». La plupart d'entre eux «se seraient sans doute alors abstenus», estime une source chez LR.
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A gauche, l'opposition au traçage est unanime. Le président des députés de La France insoumise, Jean-Luc Mélenchon, a estimé que le système «ne sert à rien si tout le monde n'est pas testé, ne sert à rien si tout le monde n'a pas un téléphone portable, ne sert à rien si on est dans une zone qui n'est pas couverte […]. Par contre, en termes de libertés individuelles et de secret médical, alors là, c'est la cata pure et simple». Le député LFI de Marseille a annoncé dimanche que son groupe voterait contre le plan du gouvernement.
«Rien ne pourra garantir un anonymat véritable, ni l'absence de détournement de la technologie», a aussi estimé le Parti socialiste. Opposé au «développement d'une société de surveillance biotechnologique», le PS dénonce en outre un débat «de diversion sur lequel le gouvernement braque les projecteurs pour renvoyer au second plan les débats interdits sur les masques et les tests». Même opposition chez Europe Ecologie-les Verts, qui dénonce une «atteinte lourde à nos libertés fondamentales», le parti a lancé une pétition en ligne pour obtenir un vote sur le dispositif. Jugeant, en plus du reste, que «cette application peut induire un faux sentiment de sécurité», donc «un moindre respect des gestes barrières», et pourrait entraîner la «stigmatisation de celles et ceux qui refuseraient» de l'utiliser.
Quant à la présidente et députée du Rassemblement national, Marine Le Pen, elle estimait dès le début du débat que l'exécutif cherche, avec le traçage, «à détourner l'attention des gens du problème majeur : aujourd'hui, nous n'avons même pas encore de masques pour nos soignants […]. Quand on aura massivement des masques pour tout le monde, quand on sera capable de tester massivement la population, on se posera la question du tracking».