Equipée d’un capteur amélioré par les soins de bio-acousticiens, la plasticienne Karine Bonneval traque depuis des années les bruits imperceptibles que produisent les champs, les composts, les jardins botaniques ou les collines. Des «particules sonores» jaillies des remous des profondeurs qu’elle capture avec minutie pour les restituer sous forme d’étranges œuvres poétiques.
En tendant l'oreille vers l'une de ses dernières créations, un ensemble de céramiques aux formes fongiques qui semblent sortir de terre, surprise : des grouillements, glissements et clapotis se font entendre. «Les vers, les collemboles, les poissons d'argent et autres invertébrés font bouger l'humus. Un sol en bonne santé, c'est bruyant !» sourit Karine Bonneval, qui a placé des enceintes sans fil au cœur de ses sculptures.
Indices
Sa fascination pour les sols est née de ses recherches sur les plantes, véritables «icebergs» à ses yeux, qui recèlent sous la surface «davantage de matière et d'interactions qu'à l'air libre». En résidence au sein du laboratoire d'écologie de Matthias Rillig, à la Freie Universität de Berlin, la plasticienne a interrogé l'équipe sur le bruit des racines qui poussent. La question a amorcé une quête artistique mais aussi scientifique – les caractéristiques sonores des sols pouvant servir d'indice de leur qualité. «L'humus est un lieu de stockage de CO2, de transformation de l'azote, de divers échanges gazeux. Je souhaite désormais capter ce brouhaha complexe d'activités», précise Karine Bonneval.
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C'est l'objet de son prochain projet, pour lequel elle collabore avec plusieurs laboratoires, du Rillig Lab à Berlin à l'Institut des neurosciences de Paris-Saclay. Mais déjà, ses enregistrements telluriques vivifient notre perception d'un univers souvent associé à la saleté, la décomposition ou la mort – peut-être parce que le monde souterrain reste inaccessible à nos seuls sens ? «Après une séance d'écoute du sol, on perçoit différemment notre environnement, même le simple square d'à côté», promet Karine Bonneval.
«Trompettes de fin du monde»
Au Centre d'art de Vassivière (dans la Haute-Vienne), pour l'exposition Formule du temps, ce ne sont pas des champignons de céramique mais un phare monumental, emblématique du site, qui fait résonner la planète autrement – l'installation, bien sûr fermée actuellement, devrait perdurer jusqu'en novembre. Angelika Markul a conçu avec le musicien Côme Aguiar Murmures, une partition inspirée d'enregistrements amateurs des «trompettes de fin du monde» ; mystère paranormal ou canular, le phénomène connaît un succès viral sur la toile. «Du Canada à la France ou au Maroc, de nombreuses personnes témoignent de ces sons terrifiants, qui pourraient s'interpréter comme le frottement de la Terre avec l'espace», glisse l'artiste.
Ce n'est pas la première fois qu'Angelika Markul s'affranchit ainsi des frontières entre fiction et réel pour mieux inviter à penser notre connexion à la planète et au cosmos. Ces dernières années, la plasticienne, qui pratique la vidéo, la sculpture et l'installation, a donné à voir et à entendre une vaste formation en grès aux allures de cité millénaire immergée au large de l'île japonaise de Yonaguni, ou encore dans la grotte mexicaine de Naica – une cavité à 300 mètres de profondeur emplie de cristaux de sélénite géants. «J'archive les traces de vies, qu'elles soient du règne animal, végétal… mais aussi minéral. Car la pierre est vivante ! Et on oublie souvent qu'elle est notre origine», défend l'artiste, fascinée par la puissance évocatrice des roches, dont elle est une collectionneuse passionnée.
En dotant le minéral d'une bande-son documentaire et fictive, Angelika Markul lui confère une vibrante vitalité, qui renvoie l'humanité à sa modeste échelle du temps. «La planète est forte et l'homme n'est pas éternel, il faut savoir passer la main.» A méditer plus que jamais en ces temps confinés.
Et encore…
En attendant le festival Agir pour le Vivant, initialement prévu mi-avril et reporté à cet été, à Arles, en partenariat avec Actes Sud, la rédaction de
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