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Libération
Éditorial

Révolution

publié le 29 avril 2020 à 20h26

Qui aurait soupçonné il y a trois mois que le télétravail deviendrait la norme pour une grande partie des salariés ? Et que l'on manierait Zoom, Teams, Meet, Slack, WhatsApp, HouseParty ou Skype avec la maestria d'un geek (si vous ne comprenez pas cette phrase, c'est que vous n'êtes pas encore atteint). La révolution est sans précédent : en quelques semaines, une bonne partie des Français, des Européens et même de la population mondiale a vu son mode de travail bouleversé et l'activité professionnelle intégrer la sphère privée, si ce n'est la phagocyter. Faute de pouvoir se déplacer et se regrouper physiquement pour cause d'épidémie, il a fallu s'organiser pour échanger et travailler à distance via des applications dont les téléchargements ont explosé. Cela a permis à l'économie de ne pas s'effondrer, à de nombreux salariés de ne pas perdre leur travail, et accessoirement aux médias de continuer à informer. Un progrès énorme par rapport à d'autres périodes de l'Histoire où les épidémies avaient conduit à un isolement total des populations. Mais ce progrès a un revers. Il a installé une forme d'injustice en créant une «troisième ligne» travaillant chez elle à l'abri du risque rencontré par la «deuxième» (les caissières, éboueurs ou livreurs), et surtout par la «première» (les soignants). Une injustice, globalement, entre ceux qui peuvent télétravailler et ceux qui ne le peuvent pas. Il a aussi pulvérisé le mur que beaucoup avaient érigé entre vie privée et vie professionnelle et installé une forme de mélange des genres menaçant l'équilibre personnel et familial. Certains patrons risquent d'être tentés de surfer sur le phénomène pour accélérer la dépersonnalisation des espaces de travail au bureau. A voir. Rarement ceux-ci n'auront autant manqué. Ce qui est sûr, c'est qu'en cette veille de 1er-Mai, le télétravailleur est plus que jamais enchaîné à son entreprise.