Benjamin, seul dans son appartement parisien, observe tout ce qui se passe dans sa rue et l’immeuble d’en face depuis son balcon. Un vrai job à plein temps.
«Jusqu’à présent, je ne calculais pas vraiment mes voisins. Je m’arrêtais à "Bonjour, bonsoir". Si un meurtre se produisait dans l’immeuble, je serais le genre de témoin qui pourrait dire face caméra, une fois le coupable désigné : "Je suis surpris. Pour moi c’était quelqu’un d’agréable, toujours poli." En réalité, je n’en sais rien, je ne connais pas mes voisins. Mais ça, c’était avant le confinement.
«Le 17 mars à midi. En me penchant au balcon, sans savoir qu’il serait l’endroit où j’allais passer le plus clair de mon temps durant ces deux mois, je vois un jeune couple de mon immeuble charger sa voiture. Ils embarquent aussi le Mölkky. Je me dis : "Eux c’est sûr, ils fuient Paris." D’un coup, ça m’a ramené à la réalité : seul, ici, chez moi. Sans Mölkky. Dans une rue où même les voitures ont adopté les gestes barrière.
«Un ami m’a dit : "T’es au cinquième étage, tu vois les décolletés ?" Non. Mais je vois tout le reste. Je veille sur mes voisins, voire je les surveille. C’est beaucoup mieux d’être concierge au cinquième qu’au rez-de-chaussée. Pour les immeubles, il faudrait y penser. Là, j’ai eu le déclic : et si je n’étais pas concierge, mais manager de rue ? Mais si, "manager de rue"… Benjamin Griveaux, avant de baisser la garde (et son slip), avait inscrit cette riche idée dans son programme de campagne.
«Etre manager de rue, c’est tout checker. Qui passe, qui promène son chien, qui court. Qui repasse, qui recourt. Depuis près de deux mois, j’ai tout remarqué. Ceux qui jouent aux jeux vidéo toute la journée, ceux qui se douchent derrière une fenêtre de salle de bains pas vraiment opaque, ceux qui n’ouvrent jamais les leurs, pensant peut-être que le virus pourrait rentrer. Ceux qui sont revenus, sans se faire remarquer. Raté. Ou encore la petite vieille du premier étage, qui habite en face, qui ne sort pas tous les soirs pour applaudir. Et quand à 20 heures elle n’est pas là, j’en serais presque à m’inquiéter.
«Parce que oui, désormais, je salue un à un mes voisins, comme un maire en campagne sur un marché. Ils sont les seuls humains que je vois, de loin. Ce qui est rassurant pour moi, c’est que je sais qu’ils sont là. Comme les voitures garées en bas, ils n’ont pas bougé. Sinon je l’aurais remarqué.»