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Ma vie de confiné

«Lui qui est si maladroit avec les appareils technologiques a réussi à m’appeler en vidéo»

Chronique «Ma vie de confiné»dossier
Chaque jour, «Libé» donne la parole à des confinés de tout poil pour raconter leur vie à l’intérieur. Chacun envoie une photo «de dedans». Aujourd'hui, Louise, 90 ans, dépitée de ne plus passer de temps avec son amoureux.
(DR)
publié le 3 mai 2020 à 9h48

Louise (1), 90 ans, est folle amoureuse d’Edmond, 92 ans. Et l’inverse est vrai aussi. Les deux tourtereaux vivent dans une «résidence avec services», dans le Nord. Mais avec ce fichu confinement, ils ne peuvent quasiment plus se voir.

«Nous avons la chance, ici, de ne pas avoir eu un seul cas de Covid-19. Moi qui suis un peu sauvage, je ne souffre pas du confinement. Mais Edmond me manque beaucoup. Jamais, évidemment, je n’aurais pu imaginer tomber à nouveau amoureuse ! Je suis veuve depuis vingt ans.

«A 88 ans (je viens de fêter en février mes 90), j’ai décidé d’acheter un appartement dans cette "résidence avec services" parce que j’avais envie de quitter la ville et qu’ici, selon moi, ressemble un peu à la campagne. Un jour que j’étais au restaurant de la résidence, mes amis viennent me voir et me disent "Edmond est amoureux de toi". Edmond, comment dire… Il est tellement sympa. Il est très délicat, il est joyeux, il amuse tout le monde. Oui, c’est un amuseur ! Et un charmeur ! Tout le monde l’aime ici. Surtout les dames… Beaucoup passent lui faire la bise. Donc Edmond, plus tard, est venu me dire qu’il avait eu, en effet, le coup de foudre.

«Et aujourd’hui, il me dit que lorsque j’arrive, parfois, son cœur se met à battre la chamade. Mes enfants, petits-enfants, ont été très contents pour moi, ça les a plutôt amusés ! Mes parents étaient viticulteurs en Alsace, j’ai épousé un industriel. Les parents d’Edmond travaillaient dans les corons, lui était professeur. Parfois, il remet ça sur le tapis - notre différence de "classe sociale" le préoccupe visiblement – mais moi, je ne veux pas qu’il parle de ça. C’est l’être auquel je me suis attaché. Je lui dis souvent : "Regarde ce que tes parents ont fait de toi, et ce que tu as fait de tes enfants, et petits-enfants."

«Ensemble, nous jouons aux mots croisés, regardons des films policiers main dans la main, discutons beaucoup. Parfois, il vient chez moi et s’endort pendant que je fais autre chose mais il sent ma présence. Nous ne vivons pas dans le même appartement, pour moi, c’est très important de garder son indépendance et de vivre séparément.

«Avec le confinement, je ne peux passer le voir qu'une fois par semaine, cinq minutes, avec un masque. Mais nous nous téléphonons. Aujourd'hui, lui qui est si maladroit avec les appareils technologiques a réussi à m'appeler en vidéo. Mais ces derniers temps, Edmond [il a 92 ans, ndlr] est de plus en plus fatigué. Il mange difficilement et dort énormément. Et en attendant, nous ne pouvons pas être ensemble. Parfois, je me promène dans le parc et je m'arrête au niveau son appartement. J'aimerais qu'il puisse me voir depuis son balcon mais j'ai l'impression qu'il est trop fatigué, en ce moment, pour y faire attention.»

(1) Les prénoms ont été changés