Travailler plus pour «rebondir» après le confinement au nom du «patriotisme économique». C'est la proposition de l'Institut Montaigne qui publie ce mercredi une note signée de Bertrand Martinot, l'ancien délégué général à l'emploi et à la formation professionnelle plaidant pour une augmentation négociée et non uniforme du temps de travail. Une manière de relancer le débat clos il y a un mois après la tentative du président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, vertement accueillie par les syndicats en plein confinement. Ce dernier avait provoqué leur colère en plein confinement en estimant qu'«il faudra bien se poser tôt ou tard la question du temps de travail, des jours fériés et des congés payés pour accompagner la reprise économique et faciliter, en travaillant un peu plus, la création de croissance supplémentaire».
Pour l'auteur de cette note, ni le soutien de l'Etat par des plans de relance, que ce soit pour aider les entreprises ou les ménages, ni les mécanismes de chômage partiel dont la facture se comptera en dizaines de milliards d'euros, ne suffiront à sauver un appareil productif très touché par la crise. Il propose donc d'«assouplir quelques verrous juridiques persistants» en permettant aux entreprises de «déroger au temps de repos minimum quotidien de 11 heures par jour dans le cadre d'un accord sur le droit à la déconnexion», ou en autorisant l'employeur «à titre temporaire (par exemple jusqu'en 2022) à imposer le rachat de jours de RTT pour les salariés au forfait sans majorations».
Avec éventuellement des contreparties
Traditionnellement proche du patronat, l'Institut Montaigne qui fut fondé par l'ancien PDG et fondateur de l'assureur AXA Claude Bébéar, propose un «accroissement du temps de travail sans pour autant que la rémunération supplémentaire correspondante ne soit versée immédiatement par les entreprises». Le versement différé des heures supplémentaires pourrait être intégré «dans la formule de calcul de la réserve minimale de participation versée l'année suivante», voire ultérieurement, avec éventuellement des contreparties comme la baisse de la rémunération des dirigeants.
Autres mesures défendues, la suppression de jours fériés comme le jeudi de l'Ascension en maintenant les écoles ouvertes et la suppression à l'automne 2020 de la première semaine des vacances scolaires de la Toussaint. De quoi récupérer environ 0,5 point de PIB, soit «de l'ordre de 12 milliards d'euros de richesse supplémentaire par an». Dans cette logique d'économies tous azimuts, la note suggère qu'une part plus importante des formations pourrait être réalisée en dehors du temps de travail, sans contreparties pour le salarié, qui resterait en droit de refuser cet aménagement.
Dans un souci d'équité entre secteur privé et public, la fonction publique fait également l'objet de propositions comme la hausse temporaire de la durée de travail pour les fonctionnaires de secteurs indispensables «en contrepartie d'une rémunération supplémentaire et après concertation avec les organisations syndicales». Elle suggère d'«accroître les catégories éligibles aux forfaits jours dans la fonction publique» et d'y diminuer temporairement le nombre de RTT. Pour être crédible, l'Etat devra d'abord solder les heures supplémentaires impayées, suggère l'Institut. Une facture impossible à chiffrer précisément dans les différentes fonctions publiques (d'Etat, hospitalière et collectivités locales) mais qui représente plusieurs milliards d'euros selon différentes estimations de la Cour des Comptes.
«Le problème du jour, c’est le retour au travail, et sauver l’emploi»
Dans ses propositions pour sortir de la crise, l'Ugict-CGT (Union générale des ingénieurs, cadres et techniciens) appelle dans une tout autre logique à plus d'embauches. «Plutôt que d'augmenter la durée hebdomadaire ou annuelle de travail, au risque de surexposer et d'affaiblir les personnels […], il convient de débloquer les budgets pour opérer des recrutements, réduire le temps effectif de travail et répartir l'activité sur un plus grand nombre d'individus pour la sécuriser», juge-t-elle. Réagissant aux déclarations du président du Medef à la mi-avril, le numéro 1 de la CFDT, Laurent Berger, avait qualifié sa proposition de «totalement indécente» et plusieurs syndicats avaient critiqué une initiative «déplacée», ce qui avait amené le Medef à clore le débat.
«Le problème du jour, c'est le retour au travail, et sauver l'emploi», a réagi sur Europe 1 la ministre du Travail à propos des propositions de l'Institut Montaigne. Muriel Pénicaud estime qu'en l'occurrence, le dialogue social est «le maître mot» et que «les entreprises qui ont un bon dialogue social […] aménagent déjà le temps de travail».
«Deuxième vague» de chômage redoutée
Il semble très peu probable que le gouvernement rouvre le débat alors que plus de la moitié des salariés du privé se trouvent aujourd'hui au chômage partiel (1 million d'entreprises et 12,3 millions de salariés). «Encourager les heures sup au moment où notre défi va être de ne pas avoir de dégringolade de l'emploi, ça n'est pas spontané comme raisonnement» avait récemment répondu Muriel Pénicaud à un employeur qui réclamait des mesures supplémentaires.
Selon Pôle Emploi, le nombre de demandeurs d’emploi de catégorie A (les personnes n’ayant aucun emploi mais étant en recherche active) a déjà augmenté de 7,1% en mars, soit la plus forte hausse depuis 1996, et ce chiffre devrait augmenter en avril. Beaucoup redoutent surtout l’arrivée d’une «deuxième vague» de chômage plus importante encore avec le déconfinement. Dans ses dernières prévisions, le FMI estimait pour sa part qu’il atteindra dans l’Hexagone 10,4% à la fin 2020 contre 8,1% en février, à la veille du confinement.