Une hausse de 130 %. Le chiffre de l'Insee est saisissant : entre le 1er mars et le 20 avril, la Seine-Saint-Denis a comptabilisé plus du double de décès sur son territoire par rapport à la même période en 2019. Soit l'une des surmortalités les plus fortes du pays durant cette pandémie : le département est le deuxième le plus touché juste derrière le Haut-Rhin (+135 %). Cette statistique ne permet pas encore d'estimer la proportion des morts liées au Covid-19. Mais forcément, elle interroge. Comment expliquer cette augmentation considérable dans un département où les personnes âgées, plus fragiles face au virus, sont sous-représentées (16,7 % de la population a plus de 60 ans, contre 26,9 % en moyenne sur le territoire métropolitain) ?
«Casse-tête»
Très prudents sur une analyse fine de cette donnée à chaud, les professionnels de santé estiment tout de même qu'une première explication paraît inévitable : la corrélation entre santé et conditions sociales. «La population de Seine-Saint-Denis présente des fragilités qui sont autant de facteurs de risque face au Covid-19», expose Jean-François Corty, médecin généraliste et ancien directeur des opérations France de Médecins du monde. Selon lui, les comorbidités liées aux formes graves du nouveau coronavirus, telles que le diabète, l'hypertension et l'obésité, sont des «enjeux sanitaires réels» dans ce département. «La pauvreté conduit forcément à une problématique très importante de malbouffe, et par extension à ces pathologies», explique-t-il.
De même, les modalités de logement peuvent jouer un rôle désastreux au plan sanitaire. Avec 6 909 habitants au kilomètre carré, la surpopulation en Seine-Saint-Denis (troisième département le plus densément peuplé de France) a certainement entraîné des «mini-clusters». «Lorsqu'on diagnostique une personne Covid +, c'est un vrai casse-tête pour l'isoler, raconte Jean-Luc Fontenoy, généraliste à Livry-Gargan (dans l'est du département) et président du conseil de l'ordre des médecins de Seine-Saint-Denis. On s'est retrouvés dans des situations où il y avait trois ou quatre personnes par chambre.» Une observation partagée par le médecin généraliste Alain Mercier, directeur du département de médecine générale de l'université Paris-XIII. «Plus il y a de personnes qui vivent dans un petit espace, plus l'humidité se développe, ainsi que la moisissure, les champignons… Cela pollue l'air intérieur et aggrave les risques d'infection pulmonaire, indique-t-il. Difficile d'imaginer que ces conditions de logement n'aient pas joué un rôle néfaste durant cette épidémie.»
Désert
Autre point crucial de cette correspondance sanitaro-sociale : l'accès tardif aux soins. «Tous les habitants du département n'ont pas la culture de la prévention et certains ne viennent consulter que lorsqu'ils sont déjà très malades. Face au Covid-19, ça peut être fatal, souligne Jean-François Corty. On se situe vraiment dans un phénomène psychosocial, où les gens dans la misère ne veulent pas déranger et ne font pas tous valoir leurs droits pour bénéficier d'une aide vis-à-vis des dépenses de santé.»
S'ajoute à cela un problème de désert médical. En 2018, 25 des 40 communes ont été identifiées comme «zones d'intervention prioritaire» - les consultations chez un médecin généraliste étant inférieures à 2,5 par an et par habitant. «Les populations démunies vont généralement aux urgences. Mais là, par peur d'être contaminés par le virus, les gens n'ont pas consulté à l'hôpital, se désole Alain Mercier. J'ai bien peur qu'on se rende compte que ces décès indirectement liés à l'épidémie pourraient être bien plus nombreux qu'on le croit.»