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La Corse veut avoir la main sur son déconfinement

Déconfinementdossier
Les nationalistes au pouvoir depuis 2015 veulent gérer en autonomie la sortie du confinement. Ils réclament notamment un système de «green pass» pour toutes les personnes entrant en Corse, garantie qu’aucun malade du Covid-19 ne mettra les pieds dans l’île.
Gilles Simeoni, président du conseil exécutif de Corse en mars 2018. (Albert FACELLY/Photo Albert Facelly pour Libération)
publié le 8 mai 2020 à 17h16

Dans la «guerre» contre le Covid-19, les nationalistes corses ont décidé de mener leur propre bataille. A la tête de la collectivité depuis décembre 2015, le président de l’exécutif de Corse, Gilles Simeoni, a présenté jeudi 7 mai son propre plan de déconfinement devant les élus de l’Assemblée réunis en session extraordinaire. En visioconférence, confinement oblige, le patron de la région a annoncé la couleur d’emblée : la Corse doit pouvoir gérer sa sortie de confinement de façon autonome. A la date du 6 mai, l’épidémie avait fait 67 morts sur l’île, dont 13 dans les Ehpad, tandis que six personnes étaient toujours en réanimation ou soin intensifs, quatre à Ajaccio et deux à Bastia.

«La Corse présente des spécificités, des contraintes et des besoins propres, dans le cadre de la stratégie de lutte contre le Covid-19, estime le président du conseil exécutif de Corse. D'abord parce qu'elle est une île, et qu'on ne lutte pas contre une épidémie dans un territoire insulaire comme dans un territoire continental. Ensuite de par ses dimensions démographique, sociologique, économique, sociale, et sanitaire, qui paramètrent de manière très particulière les solutions et réponses opérationnelles.»

Passeport santé touristique

Pour fonder ses décisions, le conseil exécutif a créé son propre conseil scientifique, composé de médecins et de chercheurs appelés à se prononcer sur les dispositifs les plus adaptés pour l'île. Au programme, selon le plan que vient d'adopter l'Assemblée de Corse : la réalisation de 3 500 tests par semaine, pour l'instant seulement dans des zones ciblées mais avec l'objectif, sans date, de pouvoir dépister l'intégralité de la population ; isoler les cas positifs à domicile ou dans des structures collectives ; distribuer des masques à tous les Corses, là aussi sans calendrier précis, et, surtout, conditionner l'accès au territoire à la présentation d'un «green pass», c'est-à-dire un test Covid négatif à présenter. Une stratégie «innovante, révolutionnaire même, à certains égards. Mais qui est la seule qui pourra nous permettre de trouver un équilibre entre exigence sanitaire et reprise de l'économie», assure Gilles Simeoni. Reste à trouver suffisamment de matériel et à négocier la faisabilité du passeport santé touristique avec l'Etat.

Homme de consensus, Gilles Simeoni s'inscrit dans une «coconstruction avec l'Etat» et met en avant la politique de «territorialisation du déconfinement» encore prônée par le Premier ministre, Edouard Philippe, jeudi. Dans les rangs de la majorité nationaliste, qui allie trois courants de la même famille politique, le positionnement n'est pas forcément homogène. Jean-Guy Talamoni, président de l'Assemblée et leader du parti indépendantiste Corsica libera, a un discours beaucoup plus tranché. «Nous pensons que le centralisme de l'Etat français a empêché que la crise sanitaire soit gérée de façon convenable, considère l'élu. Nous ne sommes pas dans une opposition de principe mais nous voulons protéger les Corses et il n'est pas question d'être à la merci de décisions parisiennes que nous estimons mauvaises.»

«Jacobinisme régional»

En ligne de mire de l'indépendantiste, la volonté du président Emmanuel Macron de rouvrir les écoles dès le 11 mai. «Le bénéfice pédagogique est nul et cela fera prendre des risques aux familles», juge Jean-Guy Talamoni, qui se dit «radicalement opposé» à cette mesure et préfère préparer la rentrée au mois de septembre. Le président de l'Assemblée de Corse a d'ailleurs appelé «les parents à ne pas envoyer leurs enfants en classe, les maires à refuser d'ouvrir les établissements scolaires et la collectivité [propriétaire des collèges et lycées, ndlr] à laisser les établissements scolaires fermés». Pour le leader indépendantiste, la majorité territoriale «a son mot à dire et il doit être prévalent lorsqu'il s'agit de gérer la situation sur l'île».

Une position qui agace Jean-Charles Orsucci, membre de La République en marche et président du groupe d'opposition Andà per dumane à l'Assemblée de Corse. «J'estime qu'il y a une stratégie très marquée de la part de Jean-Guy Talamoni. On pourrait presque penser que son parti attend le chaos pour pouvoir dire : "C'est la faute de l'Etat français donc il nous faut l'indépendance." Et, comme souvent depuis cinq ans, le bicéphalisme de la majorité territoriale fait que Gilles Simeoni se sent obligé de renchérir pour ne pas passer pour un mou.» Adepte d'une autonomie très mesurée, Jean-Charles Orsucci fustige le «jacobinisme régional» des nationalistes : «J'ai le sentiment que pour eux, la bonne échelle de la décentralisation, c'est celle où ils ont le pouvoir. Pour moi, la bonne échelle, c'est la commune, avec une collaboration maire-préfet et maire-recteur.» Plus largement, l'opposition régionale craint qu'une «opposition de principe» entre les nationalistes et le gouvernement, dont les rapports ne sont pas au beau fixe, nuise à la Corse en temps de crise.

Une crainte balayée par le député Paul-André Colombani, élu sous la bannière Pè a Corsica. «Nous sommes en temps de guerre et dans ce contexte, plus personne n’a le temps de réfléchir à ça, tranche le parlementaire. L’urgence est ailleurs, nous ne nous posons pas ce genre de questions.» Médecin généraliste dans le civil, le député Colombani milite pour que la Corse bénéficie d’une étude de séroprévalence, qui permettrait d’avoir une meilleure visibilité sur les dimensions de l’épidémie dans l’île. Et espère modestement que le «cadre législatif» du déconfinement permettra à l’île d’adapter les directives nationales aux spécificités de son territoire.