Le pasteur Samuel Peterschmitt, 55 ans, est à la tête de la Porte ouverte chrétienne depuis 1997, quand il a succédé à son père Jean. Ancien marchand de confiserie en gros, ce dernier s'est converti au début des années 60 au pentecôtisme en fréquentant des communautés tziganes et à la suite de la guérison supposée de son épouse qui souffrait d'une maladie articulaire. La Porte ouverte chrétienne prend réellement son envol au milieu des années 80 et s'installe dans le quartier de Bourtzwiller, achetant les locaux d'un ancien supermarché. Prospère et prosélyte, l'église, investie notamment dans l'évangélisation de la Kabylie en Algérie, appartient au petit cercle de la dizaine de megachurches les plus puissantes en France. Sa particularité est son implantation régionale, l'essentiel des megachurches évangéliques françaises étant installées en région parisienne. Au début du mois d'avril, Samuel Peterschmitt revenait pour à Libération sur le rassemblement de la Porte ouverte qui a été identifié comme un cluster majeur du coronavirus dans le Grand est.
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Vous avez été contaminé par le coronavirus et hospitalisé pendant huit jours. Comment allez-vous ? Et comment va votre famille ?
Après plus de cinq semaines, je commence à remonter la pente, à reprendre des forces. Si je ne l'avais pas vécu moi-même, je ne pourrais pas comprendre ce que traversent les personnes atteintes par le Covid-19. Dans ma famille, une vingtaine de personnes a été contaminée et désormais toutes vont bien.
Et vos paroissiens ?
Notre communauté est très éprouvée. Il y a eu beaucoup de décès dans nos rangs, 22 à ce jour. C'est très difficile d'avoir vu partir des personnes qui nous étaient si proches. Certains de nos paroissiens sont encore hospitalisés et quatre sont dans le coma.
Recevez-vous encore des menaces ?
Il semble que cela a diminué, mais l'hostilité demeure. Bien des personnes nous tiennent pour responsables de la propagation du coronavirus. Parce qu'on parle systématiquement de nous lorsqu'on évoque cette épidémie ! Nous sommes installés dans ce quartier depuis trente ans et c'est très difficile d'y ressentir tout à coup de l'animosité. Je ne généralise pas : certaines personnes utilisent la situation pour régler des comptes. Notre communauté est dans une attitude de pardon vis-à-vis de ceux qui tiennent des propos violents et haineux à notre égard.
Avez-vous le sentiment d’être le bouc émissaire de cette tragédie ?
C'est plus qu'un sentiment. Nous ressentons une forme de stigmatisation. Pour nos membres, les conséquences sont directes. Une jeune femme a perdu son stage. Des paroissiens ont été insultés sur leur lieu de travail, des voisins ne leur adressent plus la parole. Cela touche leur vie quotidienne et c'est très regrettable.
Ressentez-vous une responsabilité ?
Nous sommes – c'est indéniable – un maillon de la chaîne de transmission du virus. Mais tout à fait malgré nous. Rétrospectivement, si l'on m'avait prévenu qu'une telle chose arriverait, jamais je n'aurais maintenu le rassemblement. Personne, en amont, ne m'a projeté le film, ni même le scénario. C'était impossible de savoir ce qu'il adviendrait. Le président de la République Emmanuel Macron lui-même n'était pas au courant. Pendant la semaine du rassemblement, il est venu à 300 mètres de notre église, serrant les mains, ne respectant aucun geste barrière… Si le chef de l'Etat n'était pas informé, comment voulez-vous que moi, pasteur d'une église évangélique, j'aie pu l'être ?
Que répondez-vous à ceux qui vous suspectent d’avoir diffusé, par votre rassemblement à Mulhouse, le virus dans toute la France et même en outre-mer ?
J'espère qu'il y aura une réelle enquête scientifique. Comme à Codogno, en Italie, où cela a permis d'établir que cette ville n'était pas l'épicentre de l'épidémie et que la diffusion du virus avait commencé plus tôt. A Mulhouse, nous ne sommes pas non plus le point de départ. Nous avons été le premier seuil d'alerte. Mon fils médecin a prévenu lui-même les infectiologues et l'agence régionale de santé qu'il y avait beaucoup de personnes qui étaient touchés par le Covid-19 parmi nous. Oui, nous avons été un feu. Mais dans une forêt qui commençait à brûler…
Après ce drame, avez-vous pensé à fermer définitivement votre église ?
Nous n'avons aucune raison de le faire. Ce serait dire que nous n'avons pas respecté les consignes qui n'existaient pas au moment où s'est tenu notre rassemblement, ou que nous avons mis volontairement la population en danger. Ce n'est absolument pas le cas. Nous sommes parmi les premiers à avoir été contaminés. A l'avenir, nous voulons nous réinscrire dans la vie de notre ville, de notre quartier même si nous comprenons que certains puissent être en colère à la lecture qu'ils font aujourd'hui des événements. Eprouvés dans notre communauté, nous avons nous-mêmes beaucoup pleuré. Je sais ce que cette maladie provoque, je n'aurais jamais imaginé me voir autant diminuer. L'hôpital de Mulhouse où j'ai été soigné a été un lieu de réconfort à ma détresse, j'y ai bénéficié de l'attention de ces soignants. On dit que ce sont des héros et c'est vrai.