Hikmet et Ranya, 44 et 43 ans, sont amoureux du lindy hop, cette danse née dans les années 30 aux Etats-Unis. Chaque lundi, depuis sept ans, après leur journée de travail (lui ingénieur de projet, elle dans un centre de formation pour les professionnels de la petite enfance), ils donnent des cours dans une salle près de Jussieu, à Paris. Le confinement, ils l’ont vécu en dansant… dans leur salon, avec leurs élèves connectés à distance. Apparemment, la voisine d’en dessous tient le coup. Récit à deux voix.
«J’ai grandi dans le Colorado, aux Etats-Unis. Hikmet vient de Lorraine. Je me souviens parfaitement du jour où j’ai découvert le lindy hop. J’écoutais beaucoup de jazz des années 30, je connaissais les danses, ses racines afro-américaines, mais j’ignorais qu’elles se pratiquaient encore. Un soir - cela devait être en 2005 - alors que j’assistais à un vernissage dans un musée à Baltimore, je tombe sur une initiation de lindy hop. Le coup de foudre.
«J'ai plongé dedans, et j'ai entraîné Hikmet avec moi. On dansait tout le temps. Le lundi, le mardi, le mercredi… Les bals tous les week-ends. Complètement amoureux. En arrivant à Paris en 2012, on a rejoint une association pour danser, et donner des cours. Depuis, l'offre a explosé à Paris, une douzaine de structures proposent du swing, de toutes sortes. Lindy hop, charleston, balboa, shag… Ces danses sont vite accessibles, pas besoin d'avoir fait des mois de cours pour se lancer et prendre du plaisir. Cette musique procure de la joie. Quand ils dansent, les gens sourient. Tout le temps. Ce sont des danses sociales, de partage. Or, ce confinement, c'est tout l'inverse… On est seul, chez soi. Compliqué de s'adapter. On a tout de suite réfléchi avec les autres professeurs de l'association à trouver un moyen de continuer. Il fallait continuer de danser d'une façon ou d'une autre.
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«Alors, tous les lundis soir, on pousse les deux fauteuils du salon, notre petit canapé contre les vitres. Ça nous fait un espace de 2 mètres sur 3. Et on lance l'application Zoom. Jamais j'aurais cru que l'énergie puisse passer à travers un écran. En fait, si. Ça marche. C'est assez incroyable. Une vingtaine d'élèves se connectent chaque lundi. On papote un peu, plus que jamais en fait. On est dans leur intimité, on voit leur salon, leur cuisine. Petit échauffement pour commencer. On leur montre des pas, puis on se précipite devant nos écrans pour compter, leur donner le rythme. 1, 2, 3, 4… On les regarde, on donne des astuces à chacun.
«J'ai "macgyveré" une caméra avec une tige à selfie que je cale dans une valise pour qu'ils aient une vue de nous en hauteur. L'ordinateur fixe nos pieds. Le cours dure deux heures, la voisine du dessous ne dit rien. C'est génial. Le seul truc, ce sont nos deux chats qui adorent se mettre entre nos pieds. Un peu dangereux. Et ce fichu décalage de l'image, qui donne l'impression que personne n'est dans le rythme. Vivement un grand bal près du lac Saint-Mandé pour fêter le vrai déconfinement. Cet été, peut-être... Pour l'instant, pas le choix. On continue de danser à distance. Mais dès demain [le 11 mai ! ndlr], nos élèves vont pouvoir se retrouver deux par deux pour danser en duo, en s'invitant dans les appartements des uns et des autres ! Cette musique, cette danse guérissent. Le temps d'une heure ou deux, on oublie tout. On vit l'instant présent. Plus que jamais, ce confinement a accentué ce besoin d'évasion. Et de joie.»