On imaginait la gardienne de l'école Rothschild avec un gros trousseau dans les mains. Barbara Sorbara attend sur le seuil sans ses clés, un flacon de désinfectant au bout du bras. Depuis mercredi, avec sept agents d'entretien, la gardienne prépare la rentrée des 380 élèves de cette école primaire publique du centre-ville de Nice. «On a de nouveaux protocoles. D'abord, on a fait un grand nettoyage. Et maintenant, à chaque passage des enfants, on aère et on désinfecte. On nettoie les points de contact : les interrupteurs, les lampes, les poignées de porte, les murs, les pieds de table, chaque crayon, liste-t-elle. Tout ce que les élèves touchent.» Un travail répétitif et consciencieux, à hauteur d'enfant, qui a déjà commencé : l'établissement accueille la progéniture des soignants. La rentrée, comme dans 154 écoles de Nice, c'est ce mardi. «Ce sera une surcharge de travail pour tout le monde. Pour nous comme pour les enseignants, anticipe Barbara. On va faire le maximum pour la sécurité des enfants.»
L’accès aux jeux est interdit dans la cour de l’école maternelle.
Photo Laurent Carré pour Libération
Dans la cour de récréation, Barbara et son équipe ont fermé le toboggan et la maisonnette en bois avec de la rubalise. Côté sanitaire, un WC sur deux a été condamné. Dans la cantine, les grandes tables rondes n'accueilleront plus huit mais trois écoliers. Maria Fortes de Brito et Marine Guilloteau sont accroupies. A 42 et 38 ans, ces deux agents de cantine dessinent au sol le parcours fléché avec du scotch orange. La distanciation physique dans un réfectoire, elles n'y croient pas. «La rentrée me fait un peu peur. Il faut dire la vérité : les petits de 3 à 5 ans ne nous écoutent pas, dit Maria. On va devoir tout rappeler dix fois. Je crois que je vais prendre un parlophone.» Toutes deux craignent les câlins spontanés, les jeux sans distance, les sollicitations. «Il va bien falloir les servir et les aider à manger, dit Marine. Pour moi, ça devient un métier à risques. Si on avait eu le choix, on serait resté chez nous et on n'aurait repris qu'en septembre à la rentrée. Nous aussi, on a des enfants à la maison à protéger. On ne les remet pas à l'école.» Maria Fortes de Brito et Marine Guilloteau sont rémunérées environ 800 euros pour un contrat d'une vingtaine d'heures.
«Je n’ai pas envie de me foutre la trouille»
Signaletique et sens de circulation pour les enfants
. Photo Laurent Carré pour Libération
A l'école Rothschild, la grande majorité des agents de nettoyage est considérée comme du «personnel fragile». Eux restent confinés et une «brigade de remplacement» est venue prêter main-forte. Any a fait le choix de remettre sa blouse. On la retrouve dans la salle de pause. «J'ai une pathologie : un problème aux intestins, explique cette agente de nettoyage de 57 ans, payée 1 100 euros pour 28 heures. Je ne suis pas sereine mais je n'ai pas le choix. Rester à la maison me fait péter un plomb. Je ne vis pas dans le luxe : je suis dans un studio avec un gamin.» Ses gants commencent à l'irriter. Son masque l'étouffe quand le travail devient physique. «Et ça fait de la buée sur les lunettes, maronne-t-elle. On n'arrête jamais : on nettoie tout, partout, tout le temps. Je prends mes précautions et je ne m'imagine rien dans ma tête. Je n'ai pas envie de me foutre la trouille.» Des cris d'enfants résonnent dans les couloirs, signe qu'ils sont passés de la classe au réfectoire. Il faut à nouveau tout désinfecter derrière eux. Avec son pulvérisateur, Barbara avait prévenu : «Ça va être sans fin.»