Il y a des mots piégés en politique. Le sympathique adjectif «constructif» l'est devenu tôt dans le quinquennat : un groupe de députés issus de Les Républicains, et bien disposés envers Emmanuel Macron, s'émancipait alors sous cette étiquette. Il n'est donc pas neutre d'entendre ces jours-ci le président des députés LR, Damien Abad, «assumer» le qualificatif - et certains de ses collègues de le regretter. Dans ses interventions télévisées, le placide élu de l'Ain apparaît souvent flanqué du portrait de Bouddha qui décore son salon. Porté fin 2019 à la tête de son groupe, en remplacement de Christian Jacob, le quadragénaire est particulièrement en vue à LR depuis le début de la crise sanitaire. La discrétion de François Baroin, le retrait temporaire d'un Jacob atteint par le Covid et les textes d'urgence soumis au Parlement ont mis en lumière cet ancien proche de Bruno Le Maire, et son ambition d'incarner une «opposition responsable».
Droite traumatisée
Lundi, Abad a longuement développé le concept lors d'une téléconférence de presse. «Je ne crois pas à une opposition frontale, systématique», a-t-il expliqué, se proposant «d'installer un nouveau style d'opposition». Le propre en serait d'élaborer, pour chaque grande réforme, un «contre-projet» de droite détaillé, comme son groupe l'a fait pour la réforme des retraites, le plan de déconfinement et bientôt la relance économique. Sur ce dernier sujet, la droite devrait défendre une augmentation du temps de travail, renvoyée à des négociations dans les entreprises : plusieurs de ses responsables, dont le président de LR, Christian Jacob, y voient à la fois l'axe d'une reprise de l'activité, et le moyen de faire aboutir une très vieille revendication de la droite et du patronat.
Mais être «responsable» implique aussi, vis-à-vis des projets de l'exécutif, de soutenir ce qui le mérite : «Si le gouvernement nous écoute, il faut voter pour, sinon nous ne sommes plus crédibles. Et si on n'est pas suivis, on vote contre», expose Abad. Constructif, donc : «J'assume l'adjectif. On peut être constructif dans l'opposition.» Et l'élu en est convaincu : grâce à cette démarche, «on est en train d'installer un match entre la droite et le gouvernement». L'abstention (plutôt qu'un vote contre) d'une majorité de LR sur le plan de déconfinement de l'exécutif a été présentée comme un gage de cette posture «ouverte», même si elle a aussi révélé les divisions internes du groupe. Abad estime ainsi avoir tiré les leçons de la crise des gilets jaunes, marquée par une contre-productive surenchère de son parti.
Peut-être ne faut-il toutefois pas surestimer la nouveauté d'un discours qui, de l'avis d'un député LR, se traduit d'abord par des efforts de communication. «Quand j'étais à la tête du groupe, on votait déjà 40 % des textes présentés par le gouvernement», rappelle Christian Jacob, par ailleurs en ligne avec le propos de son successeur. Reste le choix des mots : «Constructif est un terme que j'ai un peu de mal à prononcer, une étiquette que je n'ai pas envie d'avoir sur le dos, confesse le député du Lot et secrétaire général de LR, Aurélien Pradié. Les derniers à l'avoir utilisé, c'est le groupe de Franck Riester», ex-LR devenu ministre de la Culture. De là aussi le poids des soupçons, au sein d'une droite traumatisée d'avoir vu tant des siens rejoindre le camp présidentiel et qu'alarme désormais tout signe de bienveillance envers l'exécutif.
Radicalisation de l’opinion
Le débat, enfin, semble aussi reposer sur deux paris différents quant à l'avenir de la droite et l'état de l'opinion. Les uns, tel Abad, jugent qu'une partie de l'électorat LR, pas totalement hostile au chef de l'Etat, ne comprendrait pas une opposition trop frontale : «Il faut faire attention à ne pas être désaxé par rapport à l'opinion, argumente l'élu. Ne pas se laisser enfermer par des relais d'opinions plus radicaux que notre électorat. L'enjeu à la présidentielle, ce n'est pas de se faire plaisir à 15 %.» Mais d'autres estiment que la droite doit anticiper et accompagner une radicalisation de l'opinion. Pour le député Julien Aubert, «il faut rester éloigné de ce pouvoir, parce qu'il peut se saisir même de solutions saines pour faire croire aux gens qu'il y aurait une espèce de collusion entre majorité et opposition». Fataliste, un autre député estime quant à lui que «tout cela ne sert pas à grand-chose. Les votes à l'Assemblée, l'opinion s'en fiche. La mère des batailles, c'est la présidentielle» et la détermination d'un candidat à y présenter. Ce chantier-là attendra encore un peu.