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Libération
Le portrait

Jules Salé, livreur délivré

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Ce coursier décroissant, remonté sur son vélo pendant le confinement, voit son métier comme le vecteur d’une surconsommation capricieuse et nocive.
(Photo Mathias Depardon pour "Libération")
publié le 12 mai 2020 à 17h11

On est début avril. Jules Salé est cloîtré dans son petit rez-de-chaussée de Vincennes, qu’il loue avec sa copine comédienne. Il s’ennuie et la déconfiture bancaire le guette depuis que l’atelier de cinéma pour ados qu’il animait a fermé. Alentour, il y a la grande ville désolée qui l’attend, amie ennemie bitumée qu’il connaît comme le fond de sa poche percée. Il a l’habitude de la sillonner, dressé sur les ergots de son VTT, moins coq de combat que coquelicot décroissant et déterminé, cultivé et déluré, futé et virulent. Alors, pour se faire un peu de monnaie, et surtout pour s’activer les muscles, Jules Salé, 31 ans, 1,95 m pour 100 kilos, remonte sur son vélo et reprend cet impossible job de livreur parisien.

Lesté du sac à dos isotherme Deliveroo en guise d'attestation dérogatoire, il se fantasme seul survivant autorisé à circuler dans la cité dévastée. La réalité est plus mitigée, l'apocalypse plus mémère. Sur sa page Facebook, Salé pointe sa déception : «Devantures fermées, fin du monde ratée, aucun panache, décevant, il ne se passe rien.» Il flingue l'argumentaire guerrier de Macron : «Je ne pensais pas qu'on pouvait se faire livrer des kebabs sous les bombes […]. Je dois être un soldat du confort.» A 20 heures, quand, pour de faux, il se la raconterait bien «super-héros à sushis» et bras levés, il faut qu'une rabat-joie lui mégote les hourras et le sèche d'un : «Ce n'est pas vous qu'on applaudit, monsieur.» Il détaille l'impossibili