A l'entrée de l'Arbre à lettres, dans le XIIe arrondissement de Paris, Véronique attend les lecteurs équipée d'un vaporisateur de solution hydroalcoolique. Pas question d'entrer sans passer par l'opération «mains propres», sauf quand la responsable relâche l'attention en orientant cette cliente vers la section souhaitée, avant de réaliser : «Mince, j'ai oublié de lui nettoyer les mains…» Au deuxième jour d'ouverture post-confinement, quelques réflexes restent à acquérir. «Mais honnêtement, ça se passe très bien, explique-t-elle. Lundi, il y avait beaucoup de monde, les gens sont très contents de nous revoir, et on a fini la journée sur les rotules.»
Un bilan partagé dans les autres librairies du quartier, qui avaient pour la plupart relancé leur activité mi-avril par le biais du «click & collect», qui permet aux clients de passer commande en ligne avant de venir chercher leurs ouvrages. Mais la reprise de l'activité «physique» pose nombre de défis logistiques. Les lecteurs peuvent-ils feuilleter les livres avant de les acheter ? «C'est obligé», tranche Gaëlle, gérante de la librairie 189, à l'unisson de ses collègues du quartier. «Mais on essaie de désigner les choses du doigt, complète David, cogérant de la Friche, rue Léon-Frot. Et on limite autant que possible les passages d'une main à l'autre.»
Tous ont mis en place des mesures d'hygiène et de distanciation physique dans leurs boutiques. Véronique s'efforce de ne pas laisser entrer plus de vingt personnes simultanément : «On compte sur la responsabilité de chacun pour respecter les marquages placés au sol et ainsi maintenir une distance de 1,5 mètre dans la queue pour la caisse.» En revanche, pas de parcours de circulation imposé à l'Arbre à lettres : «Techniquement, c'est compliqué, et on veut laisser aux gens le plaisir de déambuler.» Pour eux, pas question de «fliquer» les clients.
Même tonalité chez BD Net, à quelques encablures de la rue du Faubourg-Saint-Antoine. Flore, une des quinze salariés, parie sur la bonne volonté des visiteurs. «On leur demande de porter obligatoirement un masque. C'est avant tout pour nous protéger, car nous sommes en contact avec des dizaines de personnes au cours de la journée.» Les masques pour le personnel ont été fournis par le patron, Marc Szyjowicz : «On a opté pour du textile, plus économique, et on en donne autant qu'il faut pour une journée de travail.» Le propriétaire dit avoir déjà dépensé plusieurs centaines d'euros pour équiper ses troupes. «Evidemment, on voulait rouvrir parce que sinon on se dirigeait gentiment vers la fermeture définitive, mais on pense en permanence au risque d'attraper le Covid…»
Propriétaire de deux librairies spécialisées en bandes dessinées, il s'estime privilégié par rapport à certains de ses collègues. «On avait de la chance d'avoir un peu de trésorerie, qui a vite fondu pour payer nos charges, et aussi parce que j'ai fait le choix de verser le salaire manquant aux salariés en chômage partiel.» Il salue néanmoins les efforts du syndicat de la librairie française : «On a obtenu le report de deux mois de toutes nos échéances auprès des éditeurs qui nous fournissent. Ça nous a permis de passer le cap du confinement et donné une bouffée d'oxygène.»