Tout au long du confinement, Bérangère Rousselot-Pailley, psychologue clinicienne attachée à l'hôpital Necker, a mené une étude à partir de dessins avec une centaine d'enfants. Elle revient sur ses résultats et sur la manière de préparer au mieux les enfants à leur retour en classe.
A quel point le confinement a-t-il perturbé les enfants ?
Pour répondre à cette question, j'ai lancé au début du confinement une étude sur une centaine d'enfants âgés de 4 à 16 ans. L'idée était d'étudier l'impact sur leur processus créatif à travers le dessin libre. C'est l'un de nos outils classiques, utilisés pour avoir un aperçu du fonctionnement psychique de l'enfant. Chaque semaine, j'ai reçu une centaine de dessins. Les trois premières semaines, les dessins étaient riches en processus créatifs et assez typiques de chaque âge, avec des thèmes très variables, un peu à l'image des dessins d'enfants en vacances. A partir de la quatrième semaine, la créativité baisse. Il y a moins de couleurs, moins d'implication dans le dessin. On voit aussi apparaître des thèmes teintés d'inquiétudes, avec des représentations de soignants ou de virus, parfois sous la forme de superhéros. Autour de la sixième semaine, les dessins sont plus stéréotypés, souvent recopiés sur un modèle ou décalqués. Certains enfants commencent aussi à refuser de dessiner.Cette dynamique se poursuit-elle ensuite ?
On note plutôt un regain créatif à partir de la septième semaine de confinement, avec la mise en place de processus créatifs assez différents de ceux du début. La couleur ne revient pas forcément mais les dessins sont plus élaborés. On retrouve de l'humour, des BD, beaucoup plus de choses écrites. C'est un peu un retour de la communication, avec des messages à faire passer. Une fenêtre vers la suite s'ouvre, les enfants ont compris que le confinement va s'achever dans peu de temps.
C'est une dynamique que l'on retrouve dans les questionnaires joints aux dessins. Au début du confinement, les meilleurs moments décrits font très «vacances». Les enfants se réjouissent de petites choses, comme manger une glace ou construire une cabane. Plus tard, les moments positifs sont ceux sans contraintes, comme regarder un film ou des dessins animés. Vers la fin du confinement, ce sont plutôt les moments sociaux qui sont vus positivement, comme un Skype avec un oncle, ou un apéro avec les voisins à travers la haie du jardin.
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Après deux mois de vie en famille, comment prépare-t-on les enfants au retour à l’école et à la vie sociale ?
Il est primordial de leur donner une représentation psychique de ce qui les attend. Il faut essayer de décrire en amont aux enfants ce qu'il va se passer, d'expliquer par exemple que la maîtresse aura un masque et qu'elle risque d'être très stricte ou qu'on ne pourra pas toucher ses copains. Plus l'enfant aura une représentation concrète de la nouvelle vie dehors et à l'école, moins il le vivra de façon traumatique.
Dans les familles pour qui cet épisode a été source de grandes angoisses, certains enfants ont intégré à un moment donné que l'extérieur était dangereux. Ils ont peur, et surtout ils ont perdu leurs repères. Cela peut leur donner l'impression que les adultes sont un peu perdus et ne sont plus «dignes» de leur confiance totale. C'est aussi pour cela qu'il est important de bien décrire aux enfants la situation qu'ils vont rencontrer dehors, et de mettre en place des protocoles, sans en faire trop. Cela va leur permettre de s'appuyer à nouveau sur des adultes «qui savent» et les tranquilliser.
De leur côté, les parents peuvent faire attention aux changements de comportements (alimentation, sommeil, irritabilité…) de leur enfant qui peuvent être le reflet d'angoisses non élaborées. Par ailleurs, si un enfant parle en permanence du coronavirus, cela doit nous alerter comme un signe d'une grande inquiétude. Les petits posent normalement des questions jusqu'à ce qu'ils aient une réponse qui leur convienne. Si les interrogations ne s'arrêtent pas, c'est que l'enfant ne trouve pas d'apaisement.
Les enfants porteurs de handicaps sont prioritaires pour le retour en classe mais la nouvelle configuration de l’école n’est-elle pas encore plus difficile à appréhender pour eux ?
A ce sujet, je dirais que c'est du cas pour cas. Pour certains enfants, souffrant de troubles neuro-développementaux comme l'autisme par exemple, et qui ont un besoin important de rituels, la reprise peut être très compliquée. Tous leurs repères risquent d'être bousculés, alors qu'il faut beaucoup de temps pour les instaurer. Les enseignants consacrent souvent le premier trimestre de l'année scolaire à construire un espace rassurant, où l'enfant va pouvoir investir les apprentissages. On est dans une situation où il va falloir recommencer tout ce processus en mai, ce qui laisse peut être peu de place pour les apprentissages. D'autres enfants n'ont pas pu maintenir les apprentissages en continuité avec leurs parents et le retour à l'école peut alors les soulager.
Avez-vous constaté avec le confinement une recrudescence d’affections psychologiques chez les enfants ?
J'ai commencé à recevoir dès la mi-avril des demandes de consultations par des parents qui ont vu apparaître des manies pouvant aller jusqu'aux troubles obsessionnels compulsifs ou des troubles phobiques autour des microbes chez les adolescents. On a aussi vu beaucoup d'enfants présentant des troubles anxieux et des parents se sont inquiétés à raison devant l'apparition de comportements agressifs. Enfin, logiquement, plus d'enfants ont désinvesti le travail scolaire. C'est un thème qui est d'ailleurs très souvent cité comme le moment le plus compliqué de la semaine. L'école à la maison est souvent une source de tensions avec les parents. Ils sortent de leur rôle habituel et se voient rajouter une casquette d'enseignant, sans la formation pédagogique qui va avec!