A priori anecdotique par rapport à celle de la réouverture des établissements scolaires, la reprise des cérémonies religieuses a tourné au casse-tête pour le gouvernement et présente de réels risques sanitaires, notamment pour les quelques mégachurches évangéliques, présentes en Seine-Saint-Denis.
Après quelques cafouillages à la suite d'un forcing de l'Eglise catholique, la grande majorité des confessions religieuses en France ont toutefois indiqué au gouvernement qu'elles ne souhaitaient pas la reprise du culte public avant le 2 juin. «Pour ce qui concerne le judaïsme, je l'ai fait savoir au ministère de l'Intérieur», expliquait à Libération en début de semaine le grand rabbin de France, Haïm Korsia.
Même si la fête juive de Chavouot se tient du 28 au 30 mai, le grand rabbin estime qu'il n'est pas opportun de reprendre, à cette occasion, un culte public. «Il vaut mieux éviter de le faire – à l'occasion de rassemblements qui drainent des assistances importantes», précise-t-il. Comme d'autres responsables religieux, il estime que ce serait prendre des risques inutiles, personne ne pouvant garantir que les fidèles respectent les gestes barrières à l'entrée et à la sortie des offices.
La même vertu de prudence prévaut parmi les responsables musulmans. La plupart ont décidé de ne pas demander la réouverture des mosquées pour la fête de l'Aïd-Al-Fitr qui marquera, le 24 mai, la fin du mois de jeûne de ramadan. «Nous ne voulons pas faire prendre de risques sanitaires à nos concitoyens», plaide Mohammed Moussaoui, le président du Conseil français du culte musulman (CFCM).
Enjeu de taille
Il n'y a guère que la Grande mosquée de Paris qui a campé sur sa position. Si le gouvernement autorisait l'Eglise catholique à célébrer la fête de Pentecôte en reprenant le dernier week-end de mai la célébration publique de la messe, elle réclamerait l'équivalent pour l'Aïd-Al-Fitr. «Je comprendrais que certains puissent se sentir discriminés, commente Mohammed Moussaoui. Cependant, je ne crois pas qu'il y ait discrimination. Car nous n'avons pas demandé la reprise pour l'Aïd-Al-Fitr.»
Dans les faits, les autorités catholiques continuent de faire cavalier seul. Elles réclament invariablement la reprise au plus vite du culte public, estimant qu’elles peuvent mettre en place des mesures garantissant la sécurité sanitaire.
«Nous attendons la réponse du gouvernement et une réunion de l'ensemble des cultes avec les autorités est programmée pour le 25 mai», assure une source autorisée à l'épiscopat. L'Eglise catholique espère un déblocage de la situation, si le contexte sanitaire le permet, pour célébrer la Pentecôte, réfutant mettre en porte en faux les autres cultes.
Dans les milieux évangéliques, qui se sont peu exprimés publiquement, la situation est assez complexe. «Nous n'avons pas de revendication particulière sur une date, explique à Libération Romain Choisnet, directeur de la communication du Conseil national des évangéliques de France (CNEF). Mais il faut que le gouvernement soit clair dans ses consignes.»
C'est un enjeu de taille pour les milieux évangéliques qui ne peuvent pas prendre le risque de provoquer un nouveau cluster, comme celui à La Porte ouverte à Mulhouse, en février, dont l'un des rassemblements a favorisé l'explosion de l'épidémie en Alsace. «Ce serait désastreux pour nous», commente Romain Choisnet.
D’ores et déjà, le CNEF a demandé à ses fédérations d’églises de ne pas reprendre les groupes dits de maison, c’est-à-dire des réunions de prières qui ont lieu à l’échelle de quartiers et peuvent réunir une vingtaine de personnes. Depuis le déconfinement, ces activités ne sont plus interdites.
Sur le terrain juridique
Par ailleurs, il existe d'importantes communautés évangéliques indépendantes, non reliées à de grandes fédérations, notamment en région parisienne. «Il y a une forte présence en Seine-Saint-Denis», acquiesce Romain Choisnet. Le département est particulièrement touché par la pandémie.
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Une poignée de mégachurches, tel que Charisma au Blanc-Mesnil, attire, chaque dimanche des milliers de fidèles qui viennent de toute la région parisienne. Il existe également des «hotspots», à Saint-Denis notamment, où se retrouvent sur un même site plusieurs églises évangéliques, des rassemblements qui pourraient être à haut risque. «Ces communautés ont respecté le confinement, assure Romain Choisnet. Nous espérons qu'elles en feront autant pour ce qui concerne les mesures liées au déconfinement.»
La bataille de la reprise du culte public a lieu également sur le terrain juridique, le Conseil d’Etat ayant été saisi par plusieurs associations proches des milieux catholiques traditionalistes et le Parti chrétien-démocrate de Jean-Frédéric Poisson. La haute juridiction doit examiner, vendredi après-midi en audience, le dossier.