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Libération

Le gouvernement peut-il interdire les réunions privées de plus de dix personnes ?

publié le 15 mai 2020 à 19h21

Lors de la présentation du plan de déconfinement à l'Assemblée nationale le 28 avril, le Premier ministre, Edouard Philippe, avait indiqué que «les rassemblements organisés sur la voie publique ou dans des lieux privés seront limités à 10 personnes». Mais une telle interdiction au sein de l'espace privé ne figure pas dans le décret publié lundi 11 mai. Pas plus que dans un second décret (consolidant le premier) publié au Journal officiel le lendemain. Le texte fixe seulement l'interdiction des rassemblements de plus de dix personnes dans les lieux publics.

Contacté, le ministère de l'Intérieur confirme que le décret «n'interdit pas les rassemblements de plus de dix personnes dans les lieux privés». Et de fait, il ne serait pas autorisé à le faire, puisque le Conseil constitutionnel a précisé, dans sa décision du 11 mai, que «les mesures relatives aux établissements recevant du public et aux lieux de réunion […] ne s'étendent pas aux locaux à usage d'habitation». Dans l'absolu, rien n'interdit donc un rassemblement de plus de dix personnes dans un lieu privé. En revanche, les services du ministère rappellent que «les mesures d'hygiène» doivent être appliquées. Beauvau fait référence à l'article 1, qui impose notamment le respect de la distanciation physique d'au moins un mètre entre deux personnes, «en tout lieu et en toutes circonstances».

Cela signifie donc qu'il serait possible d'être sanctionné en cas de contrôle, d'après le juriste en droit public et droit européen des droits de l'homme Nicolas Hervieu, si par exemple des policiers constataient qu'un trop grand nombre de personnes dans une habitation (sans même forcément aller jusqu'à dix personnes) empêchaient le respect des distances physiques. Mais les moyens de contrôle sont assez restreints, puisque le domicile est protégé par la loi. Les forces de l'ordre ne peuvent entrer qu'avec l'accord de la personne, l'autorisation d'un juge, ou en cas de flagrance d'un crime ou d'un délit (et non d'une contravention). Reste que les policiers peuvent constater l'infraction de dehors, précise Nicolas Hervieu : «Dans un appartement parisien estudiantin typique de 20 ou 25 mètres carrés, par exemple, si vous voyez, en regardant sur le pas de la porte, dix personnes qui débordent, vous pouvez constater que la distanciation physique ne pourra être respectée.»

Au-delà du respect de cette distanciation, le juriste alertait le 11 mai sur le nouveau «risque pénal» lié à l'inscription de ces mesures préventives dans le décret. «Désormais, ne pas se laver les mains, éternuer ou se toucher le visage pourrait être puni d'une amende de 38 euros», avait-il considéré. Mais Nicolas Hervieu doute la solidité des futures verbalisations. «A force de mélanger les recommandations sanitaires et l'interdit juridique, le gouvernement se prend les pieds dans le tapis et crée le flou et donc l'arbitraire», estime-t-il.